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Critique de Pasoa


Né en 1909, figure majeure de la poésie grecque, sans doute le plus engagé politiquement des écrivains de sa génération, Yannis Ritsos connut la guerre, la résistance, la prison, la déportation mais jamais, malgré les épreuves endurées, il ne cessa d'écrire.
En 1947, dans les Lettres françaises, Louis Aragon le décrit comme " l'un des plus grands et des plus singuliers poètes d'aujourd'hui ". Il faut cependant attendre la fin des années 50 pour que l'oeuvre poétique de Ritsos commence à être traduite en France.

Malgré tout ce qu'il a vécu, la poésie de Yannis Ritsos n'est pas réaliste ou engagée au sens étroit du terme. C'est une poésie qui se veut avant tout libre et ouverte, attentive aux évolutions du langage, soucieuse de ne jamais se répéter, de découvrir par l'écriture l'essence des événements vécus ou imaginés. Si elle est parfois dénonciation et revendication, elle est aussi très souvent monologue intérieur, effusion, communion. Sa langue est tantôt sobre, nette, abrupte, tantôt lyrique, enroulée sur elle-même, faisant des mots et des sensations comme des arabesques.

Après Sonate au clair de Lune , le Mur dans le Miroir ou encore le recueil regroupant Chrysothémis, Phèdre, le Sondeur et le Heurtoir, je retrouve avec bonheur une nouvelle traduction* d'un des ouvrages du poète grec : Balcon.
Ces poèmes ont été écrits au jour le jour du 1er au 21 mars 1985 (chacun est daté). Ils ne furent pourtant publiés en Grèce qu'en 2013, bien après la disparition de Ritsos en 1990.

Balcon est une suite de poèmes de forme plutôt courte, qui abordent chacun un thème différent. Tous sont habités par une spontanéité et une simplicité touchantes. Les textes sont comme des tableaux exposés au regard du lecteur. Derrière le motif de la banalité du quotidien, chacun décrit un instant que le poète a choisi comme étant significatif de telle ou telle période de sa vie.

" D'en haut, depuis la montagne,
apparaissent dans plus de clarté
les voix des oiseaux,
les voix des vendangeurs,
les bateaux dans le lointain,
le bras mutilé de la statue,
le marchand de tabac,
et toi, inchangé,
inatteignable, invulnérable,
inaltéré,
tandis que la fumée de ta cigarette
se mêle à la fumée du paquebot
qui te ramène chez toi.

Athènes, 4.III.85 " **


Comme souvent dans la poésie de Yannis Ritsos, tous les textes semblent chargés d'une vie partagée avec ceux qui sont là, amis proches, personnes de rencontre, dont la présence est toujours implicite, jamais marquée. Il en est de même des lieux, de la ville, de la rue, de l'appartement où travaille l'écrivain.
Chaque élément minuscule qu'il choisit d'évoquer, d'élire dans son environnement et son époque sont des « petits riens » dont Ritsos se sert pour nous parler du vaste monde, cette immensité dans laquelle l'homme-poète évolue, interroge et s'interroge.


" Ces galets blancs sur ta table nue
s'illuminent au soleil. Personne ne devine
de quelles profondeurs ils furent repêchés. Personne
ne soupçonne au prix de quelles plongées risquées
tu les as remontés ; au prix de quelles privations
et de quels renoncements tu les arrachas
aux griffes des coraux et des rochers. C'est pour cela
qu'ils rayonnent si blancs dans leur humble fierté
pour recouvrir l'obscurité de leurs origines et pour
ne jamais te dénoncer à l'heure du Jugement Dernier.

Athènes, 21.III.85 "


Écriture sensible, fragile, celle d'une voix qui semble avoir quelque peu perdu de sa ferveur, de ses espoirs mais qui porte encore en elle une beauté étrange et fascinante. Des poèmes qui sont comme un balcon ouvert sur la rumeur du monde et sur le temps qui passe, si loin et si proche.


(*) Traduction du grec par Anne Personnaz
(**) Limpidité – p.39
(***) Les Galets blancs – p.141
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