Les meilleures plaidoiries sont toujours celles que l'on refait après
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C'était ça, être féministe aujourd'hui ? Mais qu'est-ce qu'il en pensait , [ son fils] ? Est-ce qu'il se blotissait , penaud et coupable, dans un coin du lit, quand Adèle avait ses règles, en essayant d'avoir aussi mal au ventre qu'elle ?
Depuis tout petits, on la voit rentrer [ notre mère ] furieuse parce que le client qu elle défend a pris trop cher. Et quand on lui demande ce qu 'il a fait, elle dit : " Il a tué son père à coups de marteau mais il est vraiment attachant."
Combien de fois avait-elle déjà dû dire à ses clients d'oublier leur blouson floqué Gucci ou leurs baskets Balenciaga lorsque ils s apprêtaient à soutenir que " Sincèrement, je vous jure M' sieur le juge, le traffic de stups, j y ai jamais touché".
Pas d'impressions, pas de sentiment, de la méthode. C'était le seul moyen de mettre la pression à distance.
Prendre connaissance d une époque à travers les documents judiciaires, c'est comme étudier les étoiles en regardant leur reflet dans un étang.
-Tu vas encore défendre un salaud ?
-Non. Une salope, cette fois.
– Dis, c’est quoi ton histoire de salope ?
C’était donc pour ça qu’il avait fait le détour jusque chez elle en quittant le port.
– L’histoire d’une fille qui a eu des seins plus tôt que les autres…
Le visage de Léon s’éclaira d’un sourire. Il lui manquait des dents.
– C’est pas de sa faute, alors.
Tu n'es pas assez féminine. Tu devrais porter plus souvent des robes. Et des talons hauts. (...) Alice lui jetait à la figure qu'elle en avait assez bavé comme ça, à élever seule les enfants tout en menant une carrière difficile. Qu'elle avait dû supporter pendant des années le machisme de ses confrères et leurs blagues lourdes. Combien de fois les avait-elle entendus dire, en plaisantant: "Ta plaidoirie avait l'air formidable, mais vois-tu, c'est dommage, du fond de la salle, on ne l'entendait pas. Vous, les femmes, il vous manquera toujours l'organe."
Ca avait duré comme ça jusqu'à ce qu'on installe des micros dans les salles d'audience.
Lisa lui dit tout à trac:
- J'étais devenue la salope du collège.
- Vous êtes une victime, Lisa.
- C'est plus compliqué.
- Non. Ce n'est pas parce qu'on est une adolescente pleine de désirs que l'on doit se sentir fautive.
- Je sais bien. Mais ça explique beaucoup de choses qui se sont passées.
Alice leva son stylo. Les paroles d'une chanson de Bénabar lui revenaient en mémoire. "Pour beaucoup d'entre vous/ Je suis la première fois/De celles qui comptent/ Mais pas tant que ça."
Pourquoi fallait-il donc que les filles se sentent toujours coupables ?