La petite menteuse

Elle sortit respirer dans le jardin. Les arbres dégouttaient, des filets de brume s'accrochaient aux branches. Elle repensa au procès, à ce qu'elle aurait dû dire, les idées s'enchaînaient, tout devenait fluide. Les meilleures plaidoiries sont toujours celles que l'on refait après.

Ah ! Les merveilleux témoins ! Même quand ils ne savent rien, ils trouvent quelque chose à dire, s’agaça Alice. Elle éprouvait une fois de plus les mots justes d’Erri de Luca. "Prendre connaissance d’une époque à travers les documents judiciaires, c’est comme étudier les étoiles en regardant leur reflet dans un étang."

Plus l'audience avançait, plus Alice voyait les jurés emprunter le chemin qu'elle avait elle-même parcouru. Du dossier, ils commençaient à percevoir chaque rouage, à comprendre comment ils s'étaient enclenchés. Ils ne perdaient pas une miette des dépositions. Ils prenaient des notes, observaient Lange qui se redressait dans son box, mais toujours les regards revenaient à Lisa, cherchant à comprendre l'instant où elle avait tressailli, cet autre où son attention s'était relâchée, celui où son visage s'était empourpré. ils éprouvaient intimement la puissance de ce lieu où les mots résonnent comme nulle part ailleurs. On les écoute et en même temps, on les voit tomber. Sur les juges et sur ceux qui s comme sur ceux qui sont jugés, sur l'accusé et sur celui ou celle qui l'accuse. Sur ceux qui savent comme sur ceux qui ignorent. et l'effet qu'ils produisent en dit autant, parfois plus, que ce qu'ils signifient.
pages 185-186.

Combien de fois avait elle déjà dû dire à ses clients d’ oublier leur blouson floqué Gucci ou leurs baskets Balenciaga lorsqu’ ils s apprêtaient à soutenir que “ sincèrement , je vous le jure, M’ sieur le juge le trafic de stups j’ y ai jamais touché “ ?

Les meilleures plaidoiries sont celles que l’on refait après

L’aveu, c’est pour les coupables, pas pour les victimes.

Elle leur dirait qu'on est pas coupable quand on ment à quinze ans. Que le plus dérangeant dans toute cette affaire n'est pas tant de savoir pour quelles raisons Lisa a menti mais pourquoi tant de gens ont eu envie de la croire.

Au fond, dans cette affaire, il n'y a pas de coupable, il n'y a que de bonnes intentions.

Lisa, voyez-vous, elle rêvait de quitter celle où elle était née. Elle enviait les vraies citadines de son âge qu'elle fréquentait sur la plage, pendant les vacances. Elles avaient tout en mieux à ses yeux. On trouve toujours que l'herbe est plus verte ailleurs, quand on a quinze ans, que ça ne va plus trop bien avec les parents.

Qui aime ses années collège ? Cette implacable gare de triage où le chauffeur routier et sa voisine auxiliaire de vie avaient compris que l'école n'était pas faire pour eux et qu'ils ne monteraient pas dans le même train que les autres, plus doués qu'eux. Ce lieu d'humiliation et de ricanements quand la tête apprend mal ou que le corps est trop gros, ou trop maigre, ou trop petit. Ce cimetière d'espoirs pour les parents et ce lieu de déboires pour leurs enfants. Même pour les bons élèves, c'est un temps que l'on préférerait oublier.

Plus l'audience avancait, plus Alice voyait les jurés emprunter le chemin qu'elle avait elle-même parcouru. Du dossier, ils commençaient à percevoir chaque rouage, à comprendre comment ils s'étaient enclenchés. Ils ne perdaient pas une miette des dépositions. Ils prenaient des notes, observaient Lange qui se redressait dans son box. mais toujours leurs regards revenaient à Lisa, cherchant à surprendre l'instant où elle avait tressailli, cet autre où son attention s'était relâchée, celui où son visage s'était empourpré. IIs éprouvaient intimement la puissance de ce lieu où les mots résonnent comme nulle part ailleurs. On les écoute et en même temps, on les voit tomber. Sur les juges et sur ceux qui sont jugés, sur l'accusé et sur celui ou celle qui l'accuse. Sur ceux qui savent comme sur ceux qui ignorent. Et l'effet qu'ils produisent en dit autant, parfois plus, que ce qu'ils signifient.