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Critique de MarianneL


Exilé depuis des années, Selber, retourne à son corps défendant dans son pays natal, le Liban, même si le pays n'est jamais nommé ici. «On m'a mis là et pourtant j'ai horreur des avions.» Tentant d'ignorer un voisin de siège qui, tout en s'alcoolisant de façon consciencieuse, ne cesse pendant le vol de vouloir nouer les fils de la conversation, le narrateur laisse affluer en un long monologue intérieur les souvenirs de ce pays, et de ses conversations avec Roman, son ami d'alors, pensées périodiquement ponctuées ou relancées par les saillies de l'importun voisin ou de l'hôtesse de l'air.

Au fil de ce monologue dans lequel les pensées de l'ami Roman au nom évocateur et celles de Selber finissent par se fondre, le narrateur vomit ses racines, à l'inverse des écrivains de l'exil, qui se lamentent habituellement sur leur patrie perdue ; d'autant plus haïssable qu'elle est marquée par l'horreur de la guerre, et par l'amnésie qui lui a succédé, la patrie, mais aussi la langue maternelle et la famille, sont des entraves monstrueuses, avec lesquelles il est nécessaire rompre pour accéder à sa propre liberté.

«Dès que tu auras franchi les frontières considère-toi plutôt comme une sorte d'apatride qui se réjouit de n'appartenir à rien ni à personne (c'est ce que je m'efforce de penser jusqu'à aujourd'hui), dis-toi qu'un renégat, qu'un ingrat ou qu'un amnésique valent toujours mieux qu'un idiot sentimental que le souvenir de la patrie fait chavirer, un idiot qui participe sans le savoir à son propre anéantissement.»

Tout en soulignant l'impératif de se démarquer de ses racines pour conquérir un espace de liberté, Olivier Rohe met aussi en lumière ce qu'il y a de prétention et de fantasme en matière d'écriture, à vouloir être un écrivain singulier et sans héritage.

«Chaque fois que je lisais un livre l'auteur de ce livre balisait le terrain de la langue à ma place disait Roman, chaque fois donc que je lisais un livre l'auteur de ce livre, qu'il se nomme Balzac ou Proust ou même Maupassant, me retirait toujours davantage la possibilité de trouver, au milieu de ce vaste terrain balisé pour moi, «une parcelle de langage encore inexploitée». C'est de la possibilité d'envisager la langue autrement que comme une «partie perdue d'avance», et aux règles de laquelle j'étais invité à me plier, que tous ces auteurs – aussi illustres soient-ils – m'auront privé et c'est même, maintenant que j'y pense, «l'idée de possibilité, ou de virtualité, ou d'infini» qu'ils m'auront confisqué.»

Réflexion sur l'identité et l'écriture en forte résonance avec le «Moo Pak» de Gabriel Josipovici, «Défaut d'origine», paru en 2003 aux éditions Allia, reste une lecture fascinante et indispensable.
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