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Critique de michfred


Je voudrais tout garder.

Tout garder en tête. Tout garder en bouche. Tout garder dans les yeux. Tout garder au fond du coeur.

Voilà un livre que la mémoire ne devrait jamais effeuiller tant la langue en est magique, tant les sensations qu'elle fait passer sont puissantes et  originales, tant les pensées qu'elle cherche à traduire ont quelque chose de sauvage et d'unique, tant les images qu'elle fait naître restent longuement imprimées sur la rétine, tant les personnages qu'elle met en branle nous demeurent à la fois si opaques et si proches.    

Des angles de vue cinématographiques.

  *Un long travelling un peu flou sur les petites maisons abandonnées du haut plateau de Monge, petit bourg perdu  à  400 km au sud ouest  de Buenos Aires,   de Monge que la neige lentement recouvre.
  *Un zoom lent qui se resserre et s'immobilise sur l' arbre du bord du lac et son "strange fruit",  comme chante Nina Simone.
  *Un plan fixe, en nuit américaine, sur le dortoir où se découpe , en ombre chinoise, la silhouette rablée, inquiétante,  de Pampa Asiain, le jeune policier qui mène l'enquête et la  perd .

Une ambiance tendue, un souffle retenu, des solitudes patiemment additionnées au fil des chapitres où,  un à un,   comme dans un jeu de rôles , sont introduits les personnages: Pampa, Gretel, Orlosky, La Directrice, Irina - protagonistes  énigmatiques du drame, bizarrement  étrangers à eux mêmes; des personnages qui , comme disait  Peter Handke "ne se connaissent pas d' avance" , et ...avancent dans l'histoire comme des somnambules,  ne sachant même pas s'ils sont encore vivants, déjà  morts ou s'ils errent entre deux mondes comme des fantômes.

Dans cette ambiance à couper au couteau, tendue comme la corde d'un arc, chaque sensation résonne, chaque image fait mouche. Tout compte et rien n'est vraiment signifiant, comme dans un cauchemar ou un poème. 

Pampa Asiain, jeune policier au passé tourmenté (qu'il cache dans des ballots, eux mêmes enfouis dans un silo abandonné),  découvre au bord d'un lac le cadavre d'une jeune fille suspendu à un arbre. La neige lentement tombe,  figeant le haut plateau argentin sous une croûte gelée.  L'enfant,  en Pampa , se réveille, qui guettait l'ombre menaçante de son père unijambiste et violent. Il redevient ce guetteur d'ombre, ce chasseur à l'affût qu'il n'a jamais cessé d'être. Et tout, bientôt,  lentement, déraisonnablement,  dérape, échappe,  glisse hors du cadre.

Une merveille.

De poésie,  de tension, de vérité suggérée, jamais nommément dite. Un thriller lent, dévastateur, intense, qui ne ressemble à aucun autre.

Je suis l'hiver, comme son leit motif, comme son titre,  est hypnotique.

On voudrait tout garder.

Tout.
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