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Critique de mesrives


Novembre, un temps pluvieux, envie d'évasion, je saisis le premier livre traduit en français de Santiago Roncagliolo, Avril Rouge, un polar péruvien qui me fait de l'oeil depuis bien trop longtemps.

Mars 2000, Ayacucho, préparation de la Semaine sainte, la ville des Eglises est en effervescence, c'est un des événements religieux les plus courus du pays. Les touristes européens, boliviens attendus vont bientôt affluer, se mélanger à la population autochtone afin de participer aux cortèges des différentes confréries. Au milieu de cette agitation, un être imperturbable, isolé dans son bureau, Félix Chacaltana Saldívar, substitut du procureur, rédige un rapport sur sa première affaire criminelle depuis son retour de Lima. Mais en période électorale, ceux qui détiennent le pouvoir (l'armée, la police) sont sous tension et ils veulent éviter tout dérapage ou fuite journalistique avec ce fait divers. Ayacucho, reste le berceau historique du Sentier Lumineux, « Sendero Luminoso », et sa présence est palpable même si les dirigeants préfèrent la taire. Pour l'empêcher de creuser son affaire, l'éloigner ou le remettre à sa place, Chacaltana est nommé juge électoral à titre provisoire dans les Andes à Quinua, le comité d'accueil : une série de chiens pendus en flamme à l'entrée du village ! Un séjour de 48 heures qui lui apprend le mépris témoigné par les militaires envers les Indiens, les « cholos », mais surtout où il mesure l'écart vertigineux qui existe entre les paysans quechuas et les citadins dont le seul point commun est la peur.

Chacaltana, est le seul à invoquer les fantômes d'Ayacucho, l'affaire qui le tourmente et qui fait ressurgir de vieux démons est sans aucun doute un assassinat perpétré par une cellule encore active de terroristes sendéristes ou de quelques fanatiques religieux et non la vengeance d'un cocu, une « affaire de jupon » comme les autorités essaient de lui faire croire. le premier cadavre dont il s'occupe est carbonisé, mutilé d'un membre et porte une marque cruciforme sur le front mais d'autres surgiront aux moments clés de la Semaine sainte avec le même modus operendi observé sur les scènes de crime. Dans une telle ambiance le substitut ne sait plus à quel saint se vouer! (J'opte pour celui de la Treille, il m'a l'air bienveillant et dans une telle situation on s'y accroche car la perspicacité de Chacaltana va lui faire découvrir des réalités difficiles à avaler et le précipiter dans un chaos infernal.) Problème, les nouvelles victimes ont toutes été en contact avec lui avant d'être assassinées, ses cauchemars ont-ils un message à lui délivrer? le feu et les flammes vont-ils le conduire à la résolution de cette affaire? Les procédures réglementaires dont le substitut est si friand vont être malmenées.

Le contexte socio-politique est trouble et tendu: une grande partie du district d'Ayacucho est en zone rouge depuis le décret d'État d'urgence, l'armée assure le maintien de l'ordre et les garanties constitutionnelles individuelles sont suspendues. Dans l'ombre, les « sinchis », le service de lutte antiterroriste lancent des opérations en représaille de foyers sendéristes renaissants.

Un anti-héros atypique, solitaire, méticuleux, persévérant, ne jurant que par ses manuels de droit, admirateur du poète José Santos Chocano, vouant une vénération sans faille à sa mère, sa mamacita, un homme de justice difficile à corrompre qui a peu d'ambition mais que peut-être l'acquisition d'une Datsun ferait changé d'avis ... enfin peut-être !
Un rythme d'enquête calqué sur les moments symboliques de la Semaine sainte d'Ayacucho. Des personnages secondaires qui permettent d'évoquer l'histoire contemporaine péruvienne tout en faisant remonter croyances et superstitions incas. Les portraits psychologiques très fouillés ajoutés aux préoccupations de la vie quotidienne font ressortir les conflits intérieurs de chacun d'eux en ressuscitant leurs traumatismes, séquelles encore vives de violences et exactions subies. Dans un dénouement aux multiples rebondissements la toile tissée avec adresse autour du substitut se resserre inexorablement et se désagrège dans un bouquet final digne d'un feu d'artifice. Au final un polar très bien construit dont le style clair non dénoué d'humour rend la lecture attrayante et captivante.

Au Pérou, entre les années1980 et 1990, la guerre civile livrée entre l'armée péruvienne et le mouvement maoïste du Sentier lumineux a fait quelque 70 000 morts. Dans Avril rouge, roman noir d'atmosphère, la mort ne fait plus peur mais les fantômes bien présents hantent chacun des personnages. En quechua, Ayacucho signifie « le coin des morts », Ayacucho une ville où le sang a coulé et coule encore dans Avril rouge. Santiago Roncagliolo, avec finesse et empathie y souligne les conséquences de ces affrontements sur les populations civiles encore victimes de violences militaires. « Pour se libérer des chaînes du passé, il faut avoir un présent. »

Une bonne découverte. Un polar addictif. Une immersion dans une ville andine fiévreuse et une incursion en pays inca réussies.

Ecrivain, journaliste et scénariste péruvien, Santiago Roncagliolo est l'auteur de la biographie du fondateur du Sentier lumineux, Abimael Guzmán, La quatrième épée : L'histoire d'Abimael Guzman et du Sentier lumineux. Il a reçu le prix du roman Alfaguara et l'Independent Foreign Fiction Prize pour son livre Abril Rojo (éd. Alfaguara, mars 2006). Il est possible de retrouver Chaltacana dans La peine capitale, avant sa nomination à Ayacucho.
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