Ce serait alléger sans doute la cruauté de la réalité, notamment les cruautés perpétrées par les hommes, que de pouvoir en dénoncer, chaque fois que l'occasion s'en présente, le caractère immoral. Mais il faut pour cela un critère, objectif et universel, de ce qui est bien et de ce qui est mal (ou de ce qui est juste et de ce qui est répréhensible) ; bref, un introuvable « fondement » de la morale, inlassablement et vainement recherché depuis Rousseau jusqu’à nos jours.
La disqualification pour raisons d’ordre moral permet d’éviter toute effort d’intelligence de l’objet disqualifié, en sorte qu’un jugement moral traduit toujours un refus d’analyser et je dirais même un refus de penser ~ ce qui fait du moralisme en général moins l’effet d’un sentiment exalté du bien et du mal que celui d’une simple paresse intellectuelle.
La générosité est par définition étrangère au sentiment du devoir ; elle lui est même contraire, au point qu’il y a certainement moins à craindre des perfidies d’une franche crapule que de celles de quelqu’un qui prétendrait être généreux par devoir.
Ce qui est le plus profondément reproché par les moralistes aux philosophies de l’approbation {de l’existence} est moins leur résignation au mal que leur réticence à s’en indigner, et nous touchons là, je crois, au cœur du problème. L’indignation est en effet la principale composante des diverses propensions psychologiques à la morale, son moteur premier et son carburant inépuisable : sans elle, la morale perdrait sa raison d’être et sa raison de persister dans son être.
« De tout ce qu’il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n’est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n’est seulement une bonne volonté ». (Kant) (…) En vérité, Kant est engagé dans une impasse, et ne peut que répéter que la volonté bonne qu’il voudrait définir n’est que la volonté bonne, rien d’autre que la volonté bonne, qu’une volonté absolument bonne et rien que bonne.
Personne n’a jamais pu définir ce qui était, de la part d’un homme, humain ou inhumain, pour cette bonne raison que tout ce dont est capable un homme est aussi nécessairement humain et doit coûte que coûte être tenu pour tel.