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Citations sur Le réel et son double (45)

C'est pourquoi toute pensée raisonnable fait un arrêt obligatoire, dans la conduite du raisonnement, du moment où l'on atteint la chose même. Aristote et Descartes appellent ce moment du même mot : l'évidence, le directement visible, sans le secours et la médiation du raisonnement. Il y a un moment où cesse le domaine des preuves, où l'on bute sur la chose elle-même, qui ne peut se garantir d'autre part que de par elle-même. C'est le moment où la discussion s'arrête et où s'interrompt la philosophie : adveniente re, cessat argumentum.
Il est toutefois un domaine où l'argument ne cesse pas, parce que la chose ne se montre jamais : et c'est justement mon domaine, le moi, ma singularité Il me manque, pour m'arrêter raisonnablement à moi-même, d'être visible. Sans doute puis-je, si j'en crois sur ce point Aristote, décider que je suis un homme, mais je ne peux, en revanche, réussir à penser que je suis un homme, justement celui-là que je suis. L'idée selon laquelle je suis moi n'est qu'une vague présomption, encore qu'insistante : une "impression forte", comme dit Hume. Et Montaigne : "Notre fait, ce ne sont que pièces rapportées". Et Shakespeare : "nous sommes fais de l'étoffe des songes" - de songes dont l'étoffe est elle-même de papier : vienne le papier à manquer, comme dans l'histoire de Courteline, et le songe se dissipe.
Une solution, dans ce cas désespéré consiste à s’accrocher au papier : puisque ma personne est douteuse, qu'au moins les documents qui en font foi soient d'une solidité à toute épreuve. C'est la solution inverse de celle de Vermeer, qui abandonne le moi au profit du monde : ici on abandonne le monde au profit du moi, et d'un moi de papier. Le double effacera le modèle.
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L'unique comble l'attente en se réalisant, mais la déçoit en biffant tout autre mode de réalisation. C'est d'ailleurs là le sort de tout événement au monde.
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L'évènement attendu vient coïncider avec lui-même, d'où précisément la surprise : car on attendait quelque chose de différent, quoique voisin, la même chose mais pas exactement de cette façon. C'est à cette coïncidence rigoureuse du prévu avec l'effectivement arrivé que se résument en dernière analyse les "tours" du destin. Lequel délivre l'événement lui-même, ici et maintenant, alors qu'on l'attendait un peu différent, un peu ailleurs et pas tout de suite. Telle est la nature paradoxale de la surprise face à la réalisation des oracles, que de s'étonner alors qu'il n'y a précisément plus lieu de s'étonner, le fait ayant répondu exactement à la prévision : l'événement qu'on attendait s'est produit mais on s'aperçoit alors que ce qu'on attendant n'était pas cet événement-ci, mais un même événement sous une forme différente. On croyait attendre le même, mais en réalité on attendait l'autre.
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Le chichi est ainsi en relation avec une angoisse très profonde, qu’on peut décrire sommairement comme l’inquiétude à l’idée qu’en acceptant d’être cela qu’on est on accorde du même coup qu’on n’est que cela.
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Telle est bien la structure fondamentale de l’illusion : un art de percevoir juste mais de tomber à côté dans la conséquence.
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C'est d'ailleurs pourquoi cet homme après tout "normal" qu'est l'illusionné est au fond beaucoup plus malade que le névrosé : en ceci qu'il est lui, à la différence du second, résolument incurable.
L'aveuglé est incurable non d'être aveugle, mais bien d'être voyant : car il est impossible de lui "refaire voir" une chose qu'il a déjà vue et qu'il voit encore.
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Rien de plus fragile que la faculté humaine d’admettre la réalité. Le réel n’est admis que sous certaines conditions et seulement jusqu’à un certain point. Si il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue et s' il insiste, qu’il tient absolument à être perçu, le réel pourra toujours aller se faire voir ailleurs.
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Ainsi la structure hégélienne du réel se retrouve-t-elle en toutes lettres dans la structure du réel selon J. Lacan. Peu importe que chez Lacan le réel ne soit pas garanti, comme chez Hegel, par un autre réel, mais plutôt par un « signifiant » qui « n’est de par sa nature symbole que d’une absence » [Ecrits, page 25]. Ce qui compte est l’égale insuffisance du réel à rendre compte de lui-même, à assurer sa propre signification comme chez Lucrèce ; l’égal besoin de rechercher « ailleurs » - fût-ce en une « absence » plutôt qu’en un « au-delà » - la clef permettant de déchiffrer la réalité immédiate.
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Le chichi est ainsi en relation avec une angoisse très profonde, qu’on peut décrire sommairement comme l’inquiétude à l’idée qu’en acceptant d’être cela qu’on est on accorde du même coup qu’on n’est que cela.
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Rien de plus fragile que la faculté humaine d'admettre la réalité, d'accepter sans réserves l'impérieuse prérogative du réelle. Cette faculté se trouve si souvent prise en défaut qu’il semble raisonnable d’imaginer qu’elle n’implique pas la reconnaissance d’un droit imprescriptible – celui du réel à être perçu – mais figure plutôt une sorte de tolérance, conditionnelle et provisoire. Tolérance que chacun peut suspendre à son gré, sitôt que les circonstances l’exigent : un peu comme les douanes qui peuvent décider du jour au lendemain que la bouteille d’alcool ou les dix paquets de cigarettes – « tolérés » jusqu’alors – ne passeront plus. Si les voyageurs abusent de la complaisance des douanes, celles-ci font montre de fermeté et annulent tout droit de passage. De même, le réel n’est admis que sous certaines conditions et seulement jusqu’à un certain point : s’il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Un arrêt de perception met alors la conscience à l’abri de tout spectacle indésirable. Quant au réel, s’il insiste et tient absolument à être perçu, il pourra toujours aller se faire voir ailleurs. (...)
Toutefois, ces formes radicales de refus du réel restent marginales et relativement exceptionnelles. L’attitude la plus commune, face à la réalité déplaisante, est assez différente. Si le réel me gêne et si je désire m’en affranchir, je m’en débarrasserai d’une manière généralement plus souple, grâce à un mode de réception du regard qui se situe à mi-chemin entre l’admission et l’expulsion pure et simple : qui ne dit ni oui ni non à la chose perçue, ou plutôt lui dit à la fois oui et non. Oui à la chose perçue, non aux conséquences qui devraient normalement s’ensuivre. Cette autre manière d’en finir avec le réel ressemble à un raisonnement juste que viendrait couronner une conclusion aberrante : c’est une perception juste qui s’avère impuissante à faire
embrayer sur un comportement adapté à la perception. Je ne refuse pas de voir, et ne nie en rien le réel qui m’est montré. Mais ma complaisance s’arrête là. J’ai vu, j’ai admis, mais qu’on ne m’en demande pas davantage. Pour le reste, je maintiens mon point de vue, persiste dans mon comportement, tout comme si je n’avais rien vu. Coexistent paradoxalement ma perception présente et mon point de vue antérieur. Il s’agit là moins d’une perception erronée que d’une perception inutile. (...)
Dans le cas de Boubourouche, le fait qu'Adèle ait dissimulé un amant et le fait qu'il soit cocu deviennent miraculeusement indépendants l'un de l'autre. Descartes dirait que l'illusion de Boubourouche consiste à prendre une "distinction formelle" pour une "distinction réelle" : Boubourouche est incapable de saisir la liaison essentielle qui unit dans le cogito, le "je pense" au "je suis", liaison modèle dont une des innombrables applications apprendrait à Boubourouche qu'il est impossible de distinguer réellement entre "ma femme me trompe" et "je suis cocu".
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