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Critique de Polomarco


Le roman tire son nom de la musique du même nom, composée en 1848, année où le jeune François-Joseph devient Empereur d'Autriche à l'âge de dix-huit ans. A travers l'histoire de la famille Trotta sur trois générations, il relate la fin d'un monde : le lent déclin de la dynastie des Habsbourg, jusqu'à l'attentat de Sarajevo en 1914 et la mort de François-Joseph en 1916. La marche de Radetzky est ainsi à l'Autriche-Hongrie ce que le Guépard est à la Sicile.
Tout commence en 1859 à la bataille de Solferino. le grand-père, alors jeune sous-lieutenant d'origine modeste, sauve l'Empereur, en lui empoignant des deux mains les épaules, pour le forcer à se baisser. Blessé lui-même à la place de l'Empereur à qui la balle était destinée, il devient le "héros de Solferino" : il est anobli, peut désormais porter la particule "von Trotta" et est élevé au rang de baron. le père, François, devient préfet De W., petite ville de Moravie. Casanier et peu social, il n'a pas d'amis, hormis Moser, le peintre ivrogne, qui a peint le portrait du héros, et le docteur Skowronnek. le fils, Charles-Joseph, sous-lieutenant comme son grand-père, est un personnage terne et falot. Doté d'une faible personnalité, il ne prend aucune initiative, ne sait pas dire non et subit son sort. "Voilà bien trop longtemps que le sous-lieutenant était une poule mouillée" (chapitre XIV - page 251). Fils unique, pas marié et sans enfant, il sera le dernier des von Trotta. Son projet de quitter l'armée fait dire à son père que "Le naufrage du monde paraissait commencé" (chapitre XVI - page 289). Ainsi, bien qu'anoblis, l'exemplarité qu'impose aux von Trotta leur nouveau rang est trop lourde à porter pour eux : si le grand-père a été un héros, le père sera un fonctionnaire terne et casanier, et le fils, un officier alcoolique et endetté.
C'est à travers la maladie et la mort de Jacques, le vieux domestique du préfet, qui a connu le "héros de Solferino", que François von Trotta va prendre conscience que l'Autriche-Hongrie n'est peut-être pas éternelle. Des évènements confirment ses craintes : pour la première fois, une grève a lieu à l'usine de chiendent et on y chante même l'Internationale. D'autres indices dans sa vie personnelle attestent que la société n'est plus comme avant : lors de son agonie, Jacques se met à tutoyer le préfet, mais les circonstances l'excusent ; de plus, ses successeurs, loin de détenir toutes ses qualités, se caractérisent au contraire par leur indocilité ; enfin, le comte Chojnicki fait preuve de familiarité pour parler de l'Empereur : il dit simplement "François-Joseph" (chapitre XI - page 194), quand le baron dit "Sa Majesté" ou "l'Empereur".
La marche de Radetzky est un magnifique roman sur le temps qui passe, ainsi que sur ses effets. Il y a, bien sûr, l'effritement discret mais bien réel de la monarchie. Au sujet de Mme von Taussig, la maîtresse de Charles-Joseph, Joseph Roth a une belle formule : "Mais l'âge approchait à pas cruels et silencieux" (chapitre XIII - page 230). Mais c'est surtout l'Empereur François-Joseph qui perd ses repères. S'adressant à Charles-Joseph, il le prend, à tort, pour le fils du héros de Solferino qui lui a sauvé la vie. La réaction de Charles-Joseph lui fait alors prendre conscience de "la puissance du temps qui s'était brusquement interposé entre lui et le jeune homme" (chapitre XV - page 274). Cette perte des repères temporels s'étend finalement à tous les officiers, qui, à la fin du roman, situent au XVIème siècle la bataille de Solferino et le geste de son héros.
Belle langue, beau style, la marche de Radetzky se referme à regrets. le chapitre XV sur François-Joseph relève du sublime. L'alternance des temps du passé et du présent est bien dosée : les temps utilisés la plupart du temps sont ceux du passé ; et tout à coup, comme un arrêt sur image, comme un coup de frein pour ralentir le rythme, Joseph Roth use du présent pour attirer l'attention du lecteur et ajouter un surcroît d'intérêt au récit. Une dernière remarque : si vous ne connaissez pas le bruit que font les grillons, c'est que vous avez lu trop vite la marche de Radetzky : à mult reprises, le lecteur attentif aura lu que les grillons "stridulent".
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