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Critique de Madamedub


En parcourant la liste d'auteurs de ce (remarquable, faut-il le répéter ?) site, je vois Philippe F., Philippe N., mais… Non, point de Philippe R… Que dis-je, de Philip R… Une villégiature en Europe de l'Est plus tard, et quelques lectures passionnantes au détour d'une clairière ou d'un transat ont tôt fait de Philip Roth une priorité pour cette nouvelle chronique. Un nouvel auteur pour ce site ; un auteur prolifique, souvent loué, qui ne laisse jamais indifférent. Un auteur que votre serviteur trouve néanmoins inégal : vous échapperez donc à la “critique-brève-de-fan” (qui est un problème récurrent avec les adorateurs de Philip Roth). Mais, rendons-lui justice, si le parfois poseur La Contrevie avait laissé votre serviteur quelque peu circonspect, le Théâtre de Sabbath l'a (très) nettement convaincu… Et pourtant, les soixante premières pages de ce roman essentiel et massif font peur : du cul complaisant et ostentatoire entrecoupé d'un cynisme d'un niveau parfois post-pubère, le tout ne semblant n'interroger que la part de voyeurisme qui réside en chacun de nous. Les six cents pages suivantes effacent totalement cette impression…

Mais résumons donc ! Mickey Sabbath, ex-marin, ex-habitué des bordels de Bahia, ex-marionnettiste presque célèbre du off-off Broadway au frère mort durant la Seconde Guère Mondiale ; pourfendeur de la pudeur manifestement porté sur la chose, retiré du monde ; marié à une alcoolique, tout en trompant son ennui (et sa femme) avec Drenka depuis plusieurs années, dans un registre qui apparaît – tout du moins au début de l'ouvrage –, plus proche de la performance sexuelle que de la passion adultère ; alors que les deux ne sont finalement que les différents facettes d'une même pièce de monnaie. Drenka a un cancer. Drenka meurt.

Drenka et le sexe avec Drenka. Morts. Ce qui avait maintenu Sabbath en vie et donnait une sorte d'équilibre et de sens à des jours froids et torves disparaît. le roman quitte alors ses atours de chronique sexuelle désabusée pour gagner en ampleur, en ambition, en foisonnement, mais aussi, paradoxalement, en fluidité. Soudainement moins décousu, il s'adresse enfin au lecteur. Jamais doux, fuyant l'émouvant, mais poignant – dans tout ce que le mot a de “poing” tant le lecteur est groggy – et toujours amer, ce récit d'une “déglingue” dépeint un personnage principal flamboyant et ridicule à la fois, immoral et à la lisière du sentimentalisme par rares instants, inébranlable et “mort-vivant”, raté et accompli…

Du cimetière où est enterrée Drenka jusqu'à New-York en passant par le centre de désintoxication où est sevrée sa femme, Sabbath traverse quelques fragments d'une Amérique dévorée par les pulsions rampant sous chaque toit, par les illusions, les secrets, les non-dits, les refoulements et renoncements qui servent de cadre de vie à chaque « institution » familiale… Mais il serait désespérément franco-français – et ne rendrait pas justice à l'auteur – de limiter le Théâtre de Sabbath à une oeuvre déconstruisant la composante microsociale de l'American Way of Life. Non, car nous sommes ici dans le théâtre d'un homme, Sabbath, avant tout. Un homme qui voudrait passer pour absurde alors qu'il n'a fait que fuir sa propre logique… Au crépuscule (si seulement !) de sa vie, ses illusions tombent et révèlent que l'extravagance de ses actions et ses propos n'est que l'expression du conformisme de son mal : la vie, le temps qui passe, les disparitions, la décrépitude physique. À personnage extraordinaire, destin ordinaire. Ce Mickey Sabbath qui voulait faire de la vie une farce est rejoint par l'ironie de la vie : elle est ici sans jamais être là, autour.

Les apparitions d'une mère, les souvenirs d'un frère… La disparition/mort d'une ex-femme et actrice jouant sa vie comme au théâtre… La mort d'une maîtresse qui surpassera le maître… Ces figures prennent de plus en plus de place et de vie dans le roman au fur et à mesure que M. Sabbath devient fantomatique, en train de courir après une existence dont il s'est voulu le contempteur cynique et pervers sans jamais avoir pu la vivre. Délaissant l'ornement et le choc pour emprunter une voie plus aride à travers des situations plus sèches, Philip Roth met son écriture au diapason de son personnage central. Et, au détour d'un passage dans la ville côtière où Sabbath a grandi, atteint le sublime – en mêlant la folie d'un esprit malade, la tiédeur diaphane d'un paysage humide et un dialogue de sourds surréaliste où le rhétoricien redoutable perd sa bataille contre le Temps et l'Existence. Qu'importe bien de mourir si l'on a pu lire ce chef d'oeuvre, qui, bien que parfois délayé, est un récit implacable dont la petite musique s'insinue dans l'esprit d'un lecteur qui en sort grandi ; au même titre, finalement, d'un Sabbath qui trouve sa véritable grandeur dans son anéantissement psychologique.

Il serait usant de commenter ici les innombrables passages reflétant autant la sagacité de l'auteur que la pertinence des petites questions qu'il nous distille au détour de quelque logorrhée Sabbathienne. C'est là la principale faiblesse d'une critique qui ne doit résumer qu'en peu de lignes plus de six cents pages. Soyez donc indulgent avec l'auteur de ces lignes et pardonnez-lui donc ses phrases par trop longues et leur contenu parfois elliptique… Et faites-en vous une meilleure idée en vous procurant cet ouvrage remarquable.

Lien : http://madamedub.com/WordPre..
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