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Critique de 5Arabella


C'est une des dernières pièces de Rotrou, sans doute jouée en 1645 et publiée en 1647. C'est une des rares pièces de l'auteur encore un peu connue de nos jours, accessible en livre de poche. Elle relève du genre de la tragédie religieuse, genre peu pratiqué en France, un peu plus par les protestants.

Genest était un comédien, de la fin du IIIe ou début IVe siècle, qui s'est converti au christianisme et qui a été martyrisé, à une date incertaine. Rotrou s'est sans doute inspiré de Sirius, moine chartreux allemand du XVIe siècle auteur d'un recueil de la Vie des Saints, qui a précédemment servi de source à Corneille. Sirius indique dans son ouvrage que ce Genesius, avait été chargé par l'empereur Dioclétien d'infiltrer les chrétiens pour ensuite jouer de façon parodique les pratiques et cérémonies chrétiennes sur scène et les ridiculiser. Mais il finit par se convertir lui-même et proclamer sa foi.

Rotrou transforme quand même beaucoup cette trame de départ (par exemple, il n'y a pas de mention explicite à des actions d'espionnage de Genest dans la pièce), et il prend d'assez grandes libertés avec l'histoire (son César s'appelle Maximin par exemple), qui est une époque plutôt mal connue du public, du temps de Rotrou comme de maintenant.

Saint Genest avait déjà inspiré le théâtre avant Rotrou, un mystère du moyen-âge lui était consacré. Lope de Vega a également écrit une pièce sur le sujet, dont Rotrou s'est en partie inspirée, comme il s'est inspiré d'une tragédie latine d'un jésuite, Pierre Cellot, tout particulièrement pour la pièce dans la pièce, celle que St Genest est censé jouer, et qui narre le martyre de St Adrien. Et enfin, une pièce de Desfontaines a été jouée sur le sujet peu de temps avant celle de Rotrou.

La pièce a une structure complexe, et on peut y trouver un certain nombre d'invraisemblances et incohérences. A l'occasion du mariage de Maximin (Galère) ; qui Dioclétian (Dioclétien) veut associer à l'empire avec le titre d'empereur ; et de Valérie le fille de l'empereur, Genest, acteur renommé doit jouer une pièce. le choix se porte sur une pièce racontant la mort d'Adrien après sa conversion au christianisme. Pendant la représentation, Genest est en quelque sorte saisi par la grâce, et se convertit, puis il est martyrisé, comme le personnage de la pièce qu'il jouait. Nous sommes encore une fois dans le théâtre dans le théâtre, qui n'était pas un procédé exceptionnel au XVIIe siècle. Les longs débats théoriques sur le théâtre, ses formes, les règles qui doivent l'ordonner, qui ont été si essentiels dans l'évolution du genre, rendent en quelque sorte naturel le questionnement sur la nature de la représentation théâtrale, de ses liens avec le réel.

Malgré quelques maladresses, Rotrou arrive à donner par moments quelque chose de vertigineux à cet acteur qui devient le personnage qu'il joue. Un acteur d'exception, acclamé, considéré comme le meilleur des meilleurs dans sa profession. Ce qui pose aussi la question de l'identification comme d'un préalable à être un bon acteur, crédible, parce qu'il devient le personnage. Quand on sait à quel point le jeu des acteurs était codifié à l'époque, en particulier dans la déclamation, qui faisait parler les comédiens en prononçant très différemment du langage ordinaire par exemple, avec une grande emphase, cette idée de s'identifier au personnage que l'on joue n'est pas du tout de son temps. Elle le deviendra bien plus tard seulement. C'est aussi passionnant d'avoir des indications sur la préparation de la représentation théâtrale, la mise en place des décors. Puis cette représentation devant le souverain, à la cour, fait aussi partie de la réalité du théâtre de l'époque de Rotrou, où les rois ou les premiers ministres, étaient des mécènes indispensables à la vie des troupes, et dont les auteurs dépendaient en grand partie pour leurs ressources. Et nous sommes dans une pièces qui pourrait faire qu'un roi assiste à une pièce dans laquelle un souverain commande une représentation dans laquelle il est lui-même représenté, et dans laquelle il réagit à cette représentation...Les frontières entre le réel et le théâtre s'estompent, se brouillent…
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