AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Deleatur


Après mon gros coup de coeur pour Les champs d'honneur, je me réjouissais à l'idée de retrouver la plume de Jean Rouaud. Qui plus est, plutôt que de poursuivre sagement dans la série de ses chroniques familiales, j'avais fait le choix de ce livre dont le sujet me semblait particulièrement alléchant : les lendemains de la Commune, la répression sauvage de l'insurrection par l'atroce Adolphe Thiers et son armée de Versaillais, l'affolement mesquin de la France des possédants,..., et au milieu de tout cela l'histoire d'amour impossible entre un proscrit en fuite et une bourgeoise malheureuse, dans les rudes et superbes paysages qui entourent le mont Lozère.
Soyons honnête, je m'attendais à quelque chose de beaucoup plus classique. Une aventure à la fois épique et romantique sur fond historique de guerre sociale, traitée d'une plume ample et délicate. Ceci dit, il est bien possible que j'aie des goûts aussi convenus que démodés. Quoiqu'il en soit, c'est précisément là que Rouaud attend son lecteur au tournant. Et le livre qu'il lui offre se révèle du coup assez déstabilisant, car il y est moins question d'un roman historique que d'une réflexion sur la littérature et sur le thème archi-rebattu de la fin du roman. C'est en fait le roman d'un roman en train de s'écrire (thème que j'avais déjà croisé dans Première ligne, de Laclavetine, mais ici avec du talent). L'auteur s'adresse directement à son héroïne tout au long de l'ouvrage, prend parfois son lecteur à témoin, s'accorde des digressions documentaires (parfois très éloignées de son sujet), cite ses sources et les commente, s'amuse à imaginer quelle sorte de film serait sorti de son histoire, raconte encore les doutes de l'éditeur à qui il expose son projet. Tout ceci, ce qui est très fort, sans jamais sortir vraiment de son récit.
Bien sûr, on en retire parfois le sentiment que Rouaud aime s'observer en train d'écrire son roman. Je me suis même demandé à quelques reprises si ce n'était pas là le sujet principal du livre. Les apartés ont beau être passionnants, emplis d'humour et d'autodérision, certains étaient peut-être dispensables, faisant parfois redouter de se perdre dans l'imbrication des multiples parenthèses. L'éclatement de la narration n'est pas des plus confortables pour le lecteur, c'est certain, mais je n'étais pas non plus obligé d'en faire une lecture de vacances ni de le lire le fauteuil planté dans la rivière avec les pieds clapotant bien au frais. Après tout, est-ce le but du roman de veiller au confort de son lecteur ? La réponse est évidemment négative.
Dans la dernière partie, l'auteur se fait plus discret et lâche la bride à ses personnages, comme impressionné lui-même par le souffle romanesque qu'il voulait tenir à distance, pour mieux en saisir l'essence peut-être. Arrivé là, il ne lui faut plus qu'une centaine de pages pour nouer la gorge de son lecteur, et proprement. On sort enrichi du livre, incontestablement, et sans plus savoir ce qui est authentique ou fictif dans cette histoire. Quelques questions demeurent pourtant, et surtout celle-ci : une cathédrale est-elle plus admirable, et témoigne-t-elle davantage de son sens, si on lui laisse ses échafaudages? Et incidemment, faudrait-il désormais conserver leurs échafaudages à toutes les cathédrales ?
Commenter  J’apprécie          316



Ont apprécié cette critique (29)voir plus




{* *}