Personne ne peut se dire que son confort quotidien empoisonne des enfants, personne ne peut supporter l'idée que son mode de vie condamne des enfants à des perspectives terribles. En vérité, personne ne peut assumer cela.
On nous fait croire que dans un élan convergent, majoritaire, en toute harmonie le monde a avancé. C’est faux. Le monde a avancé en dépit d’un élan majoritaire qui ne voulait pas de cette avancée. On tait les petites faiblesses récurrentes de l’humanité qui ne sait pas reconnaitre ceux et celles qui leur veulent du bien. Erreur sans cesse renouvelée.
Elles s’étaient rencontrées au lendemain des attentats, Mù avait 20 ans à l’époque. Elles ne se connaissaient pas, elles s’étaient repérées deux à deux sur les réseaux sociaux. On identifiait vite les êtres animés par la même envie furieuse de changer le monde. Une urgence moins commune quand elle se mêlait de lumière. Les filles s’étaient reconnues, elles s’attendaient. À l’époque, Paris terrorisée, le monde meurtri se recroquevillait. On ne parlait que de fermeture de frontières, d’état d’urgence, de fermeté, de peur, mais ces filles-là ne pensaient qu’à une chose : ouvrir, ouvrir grand-angle, faire déferler d’autres armes : la beauté, l’insolence, la joie, la vérité quelle qu’elle soit, et défier le fatalisme ambiant. Elles avaient échangé sur le film Les Suffragettes, elles avaient envie de se battre comme leurs aïeules l’avaient fait. Leur combat n’était pas le droit de vote, c’était la remise en cause du théâtre du vote. Elles voulaient changer la politique, la place de la femme, ouvrir le pays aux Réfugiés qui affluaient, soigner la terre, changer l’éducation, faire de Paris un jardin, danser, partout, tout le temps. Elles voulaient faire éclater les normes, destituer les imposteurs, s’affranchir des censures, reprendre leur place dans le monde, se mêler de la chose publique…
Ainsi ce qui paraissait anecdotique en dispersé, démontrait sa puissance en concerté.
Résister, se battre, bâtir, s’affranchir, expérimenter avec ses amis c’était beau, cela rendait vivant, mais c’était éprouvant…
Les migrants, réfugiés, exilés étaient à l’avant-garde, ils étaient les early adopters du monde en chamboulement. Il nous parlait peut-être depuis notre futur. La frugalité n’était pas un concept, il n’y avait pas à être pour ou contre, c’était la vie. La résilience c’était leur vie.
Henry David Thoreau nous a prévenus : plus tu as de confort, plus tu as à perdre et moins tu prends le risque de le perdre et donc moins tu es libre de t’opposer. C’est vicieux le confort, piégeant… Chaque chose que nous pensons posséder, en fait c’est elle qui nous possède…
Nous, on croyait à une chose : c’est qu’on ne s’en sortirait pas, si chacun ne faisait que chercher sa propre survie. […] C’est pour ça qu’on a trouvé le mot « s’entraffranchir ». On ne voulait plus être subordonnés, assistés, mais on ne voulait pas être isolés non plus. On imaginait s’affranchir ensemble. Choisir une communauté et tisser des liens d’interdépendance.
La subtilité d’un concept se nourrit de la façon dont chaque pays le nomme.
Vivre, c’est renoncer à tout vivre.