AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Graloup




Si vous passez à Cannes, ne manquez pas de faire un détour par le musée de la Castre, sur la colline du Suquet. le site est magnifique : il permet une vue panoramique sur la Croisette, les îles de Lérins, le massif de l'Estérel.
Le bâtiment lui-même, un ancien château, possède des collections remarquablement mises en valeur : Antiquités romaines, tableaux représentant la Côte aux siècles passés, chapelle Sainte-Anne (XIII° siècle) avec des instruments de musique du monde entier...et surtout une section ethnographique offrant des objets originaires d'Océanie, d'Asie, d'Amérique.
Deux salles sont réservées à la collection d' Edmond de Ginoux. Cet ethnographe fit, dans les années 1840-1850, deux séjours en Polynésie (au cours du second, il était accompagné de la dessinatrice Adèle de Dombasle (une aïeule de la chanteuse comédienne Arielle Dombasle).
J'ai pu, l'année dernière, consulter des cahiers écrits par Ginoux, et conservés dans la réserve du musée.Un carnet, inédit à ce jour, retint mon attention : Ginoux raconte qu'au cours d'une exploration dans l'île principale des Marquises -Noukou-Hiva-, il s'engagea dans une vallée encaissée, très difficile d'accès. Les membres de la tribu qui vivait sur ces terres devaient se plier à un cérémonial étrange :
Quand une femme riche sentait sa fin prochaine, elle demandait à sa famille de préparer une bouillie avec la chair de l'arbre à pain. Elle déposait ensuite dans la pâte ses bijoux les plus précieux : perles, boucles d'oreilles, bagues...
On mêlait à la préparation un peu de suc d' héva, qui engourdirait la mourante et adoucirait ses ultimes instants.
Pendant que la femme avalait lentement son dernier repas, la famille entonnait un long chant funèbre . Les qualités de celles qu'on allait quitter étaient rappelés dans ces poignantes mélopées.

L'esprit de la Marquisienne vient de rejoindre le grand requin mangeur de nuages.
L'aîné de la famille saisit alors, en dernier, le couteau effilé qui est passé de main en main. Il incise délicatement le ventre de la défunte et recueille les bijoux. Par ce geste il prend possession des biens matériels, mais il s'approprie également, au nom des siens, les richesses intérieures de l'ancêtre décédée. le ventre est recousu , avec du fil en fibres de coco, par la plus habile des femmes présentes ; ensuite le corps est déposé dans la pirogue-cercueil et enduit d'huiles parfumées.

La conservatrice m'apprit que l'écrivain Raymond Roussel, de passage à Cannes, avait lui aussi visité le musée et lu ce carnet. Dans son oeuvre, il a transposé sur un autre continent ( «Impressions d'Afrique») des éléments dont il avait pris connaissance à Cannes.
Ainsi la flûte nasale fabriquée avec le tibia du plus valeureux ennemi tué au combat. le guerrier qui en joue se croit invincible. Et surtout l'épisode où la cruelle troisième épouse du roi Talou VII avale les diamants qu'elle a volés. Son neveu, le prince Sirdah, la fait empaler sur la place des Trophées ( prétendument au coeur d' Ejur (c'est le nom que l'écrivain donne à la capitale du Ponukélé)), puis l'éventre pour récupérer son bien.

Nul doute que l'intérêt de Roussel pour l'ouverture de parentes aisées date de sa visite au musée de la Castre.
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}