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Critique de Wictoriane


Ambassadeur au Sénégal, Jean-Christophe Rufin prend la plume pour raconter par quels chemins de traverse il est parvenu à ce poste. Petit garçon impressionné par son grand-père médecin qui incarne une sorte d'idéal, il devient à son tour docteur en médecine. Mais cela ne lui suffit pas, il veut "toucher le monde" et s'engage dans la toute nouvelle organisation humanitaire "Médecins sans frontière". Eternel étudiant, il fait "Science Po", devient attaché culturel et de coopération, et, pour finir, ambassadeur, poste duquel il entreprend de raconter son histoire, car notre homme se plait aussi à être romancier.

Mon avis
Je désirais lire cette biographie depuis sa sortie, et puis...vous savez ce que c'est : le choix, son embarras, le temps passe. Et le livre sort en "poche", ou plutôt en Folio, et hop, on l'empoche. C'est étrange, dans ce livre, le docteur Rufin parle des lecteurs qui se souviennent de ses livres, et pas de son nom. Pour ma part, j'ai le souvenir de son nom avec ce bouquin, je n'avais rien lu d'autre, et pourtant, j'ai dans ma bibliothèque "le parfum d'Adam", que je n'ai pas encore lu.

Le livre est pour moi en deux parties à peu près égales : le début évoque sa carrière médicale, c'est celle que j'ai trouvé passionnante, la seconde moitié du livre témoigne de son engagement humanitaire, que j'ai eu plus de mal à suivre, ayant souvent l'impression de répétitions. Peut-être parce que le récit n'est pas entièrement chronologique. de plus, les querelles intestines des associations humanitaires sont vraiment lassantes, trop d'égo, pas assez d'aptitude à parvenir à un but. Un peu comme la politique au fond.

Rufin se sent prisonnier de la médecine et désire aller au-delà, dans cet endroit secret, le futur, simplement être "dans la vie" et témoigner, au travers d'essais, de chroniques, de fictions. Rufin est une sorte de navigateur, toujours à chercher un nouveau port.


Dans cette biographie, j'ai trouvé le style assez facile à lire (Rufin a reçu le prix Goncourt en 2001 pour son roman Rouge Brésil), pas de mots compliqués ou de principes complexes, j'ai noté de belles formules :
Sur son grand-père
Je n'ai pas adressé dix phrases dans toute mon enfance à ce personnage hiératique. Cela ne m'importe guère. On peut consacrer sa vie à un dieu dont on n'a jamais entendu la voix.
...
Il a fallu plusieurs morts dont la sienne, des héritages, le dépouillement solitaire de vieux papiers et de photos pour que se construise l'image sinon complète du moins précise que j'ai du personnage désormais.
J'ai également noté un travail amusant car Rufin compare à plusieurs reprises la médecine et la religion :
Quand j'arrivais dans la maison de mes grands-parents, les lustres de la médecine étaient presque éteints. Ne restaient plus que des instruments morts et la petite lumière du bureau pour indiquer que le lieu était toujours consacré. (p.36)

Les patients m'écoutaient et, quoique ma compétence n'eût pas progressé, bien au contraire, ils étaient prêts à accepter sans murmurer tous mes oracles...(p.65)

Les internes, peu nombreux et choisis, pouvaient, eux, prétendre au titre enviable de disciple. (p.73)

...apaiser les douleurs et les angoisses comme un faiseur de miracles qui impose les mains, tout cela ne laisse pas d'être grisant. (p.80)

Face à un problème, les réponses sortent automatiquement, comme la voix d'un oracle qui serait désormais enfoui en vous et dont vous seriez devenu la bouche d'or. (p.83)

Tout jeune et inexpérimenté que je fusse, je ressentais en moi et autour de moi les signes troublants de ce sacerdoce. (p.102)

...le médecin a d'autres rendez-vous avec la mort.
D'abord, c'est lui qui la déclare. Ce pouvoir est le coeur de sa fonction, la part sacerdotale et mystérieuse de ce métier. (p.108)

Trente ans plus tard, je sens encore sur mes doigts le contact gélatineux de ces yeux sans vie. Il est comme la marque d'un mystérieux chrême dont j'aurai été baptisé. Cette onction a fait de moi, quoi que je devienne jamais, un desservant de ce culte étrange, plus proche des grandes terreurs de la préhistoire que des récentes conquêtes de la science, et qui a pour nom médecine. (p.111)
Rufin a de l'humour :
Les traditions s'imposent à tout "collègue" (ainsi les internes se nomment ils entre eux, par opposition aux médecins non internes qui sont seulement des "confrères" et aux anciens internes plus âgés, qui sont désignés sous le vocable flatteur de "fossile"). (p.84)
Pour achever ce billet, je dirai que j'ai bien aimé la partie consacrée à la médecine, moins celle expliquant sa quête d'humanitaire, que je trouve plus édulcorée. Rufin passe très rapidement sur sa vie privée, tout en évoquant quelques fois ses mariages ou ses enfants, mais tout cela reste secondaire dans le récit, alors que la famille est le premier témoin et le premier catalyseur de nos actes et de nos choix. Tout cela laisse un sentiment bancal : il en dit trop et parfois pas assez pour comprendre son cheminement intellectuel. J'ai également trouvé un peu soudain et forcé le trait de son appétence pour l'écriture qui est mis en scène vers la fin avec le défilé de toute sa production, là encore, on a une impression trop rapide de sa carrière littéraire.

Un livre qui m'a donné très envie de découvrir Rufin romancier :
La fiction est un mode d'expression qui s'offre à moi comme un collecteur naturel d'expériences et de sensations. Tout est matière à nourrir ma production romanesque par un processus d'enfouissement et de résurgence, d'oubli et de remémoration. Je n'éprouve plus cette tension douloureuse qui, autrefois, me donnait, quand j'écrivais, l'impression de ne pas vivre et quand je vivais de négliger l'écriture. En somme je suis capable de perdre mon temps. Je sais que ce temps perdu rejaillira quand il sera convoqué par l'imaginaire. Il prendra une réalité dans des fictions à venir. Il trouvera sa vérité dans le mensonge d'une intrigue. (p.306)
Je suis tout à fait d'accord avec cela.

Un mot sur le titre qui, avouons le, reste énigmatique (et c'est ce qui m'a attirée dès le début). Il emprunte une image à Léopold Sédar Senghor, celle d'un cheval fou attrapé au garrot par un léopard, un être ruant dans les brancards (j'ose l'image...), une créature inapaisée, affamée de tout et de tous, et peut-être aussi, de ses propres désirs.
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