AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Musa_aka_Cthulie


Quand j'ai vu que c'était le premier roman d'Emily Ruskovich, et sa photo (sur laquelle elle a l'air très jeune), j'ai un peu tiqué, parce qu'écrire sur un thème (ou des thèmes, plutôt) tel que celui de Idaho, il me semble qu'il faut un peu de bouteille pour ça. Et les exceptions sont rarissimes. Mais j'ai mis ça de côté en commençant le roman, qui, je le reconnais, est du genre à tenir en haleine son lectorat.

Cela dit, on sent au fur et à mesure que c'est bien un premier roman, avec ses défauts inhérents. D'une part l'auteure a voulu brasser trop de thématiques, on sent qu'elle a tout voulu mettre dans ce livre, ce qui pose certains problèmes, en conséquence. D'autre part, côté style, on retrouve le même souci : elle en fait un peu trop, elle prend trop le lecteur par la main, développe trop, précise des détails qui n'ont pas besoin d'être écrits, car ils se devinent. Ainsi de la phrase qui clôt le chapitre sur le couple de personnes âgées : on devine très bien la fin de la phrase, phrase que le mari ne veut pas que sa femme prononce. Or l'auteure en rajoute une couche en écrivant cette phrase en entier, à la dernière ligne. Elle a certainement peur de ne pas être comprise par les lecteurs, mais c'est très naïf de sa part : les lecteurs sont censés réfléchir un minimum. Et je dirais que là, ils n'ont même pas besoin de réfléchir énormément, car y compris sans l'achèvement de la phrase, c'est assez clair. Et il existe pas mal d'autres exemples de ce genre dans le roman.

Le problème majeur, c'est tout de même cette brassée de thèmes et la façon dont elle les multiplie, au point que les deux thèmes centraux (car il y en a déjà deux au départ) sont dilués. On parle tout de même de démence précoce et d'un énorme drame familial, ce qui pèse déjà lourd. On parle mémoire, et pas qu'un peu. Je veux bien qu'on me parle aussi de l'enfance, de l'Idaho et de ses montagnes hostiles, du début d'un amour, de l'histoire d'un autre, des regrets qu'on peut nourrir sur sa propre vie, tout ça m'intéresse. Mais pour le coup, ça suppose ici non seulement de délayer l'histoire principale du roman, mais aussi de s'arrêter sur tout un lot de personnages qui, à mon sens, ne servent pas à grand-chose (ainsi du couple de personnes âgés, ainsi d'Eliot, ainsi d'Elizabeth). Ruskovich aurait pu faire plus court, plus dense - et l'histoire méritait un traitement vraiment très dense -, plutôt que de se perdre dans des chemins de traverse qui sont souvent des impasses.

J'ai pourtant beaucoup aimé suivre Ann, la première narratrice, dans sa quête d'une histoire dramatique vécue par son mari des années plus tôt, histoire qu'il oublie lui-même peu à peu à cause de sa maladie. On va comprendre peu à peu, à petits pas, en quoi a constitué ce drame. On comprend juste au début que Wade, le mari d'Ann, avait auparavant une femme et deux filles, et qu'aucune des trois n'est plus là, puis on va saisir lentement ce qu'il est advenu de l'une, de l'autre, et enfin de la troisième (quoique...). Ce qu'Ann cherche, c'est le comment, puis le pourquoi du drame. le travail de mémoire qu'elle effectue, à propos d'une histoire qu'elle n'a pas vécu elle-même, sa façon de combler tous les manques en s'appuyant sur son imagination : à mon sens, le véritable enjeu du roman est là. C'est ce qui m'a donné envie de poursuivre ma lecture, ce qui m'a donné à réfléchir. Mais qui ne va pas jusqu'au bout. le fait qu'Ann se perde dans cette histoire jusqu'à insérer des morceaux de son enfance à elle dans celle de June et May, les filles de Wade, l'aspect malléable de cette histoire qu'elle retravaille, remodèle sans cesse, trouve une conclusion assez décevante. Il me semble que l'aspect thriller du roman donnait pas mal de possibilités à son auteure, et je me suis d'ailleurs prise à inventer des tas de possibilités à propos de l'histoire de Wade pendant que je lisais, et puis... ben non. La conclusion est hyper décevante. Je pense qu'Emily Ruskovich aurait pu basculer dans quelque chose d'encore plus sombre, de plus tordu aussi, et qu'elle a choisi la facilité : Ann comprend soudain parfaitement, malgré son manque d'informations, le pourquoi du geste fatal. Or ça relève de la révélation assez improbable, déjà, et de l'idée que tout le monde peut massacrer un peu n'importe qui pour n'importe quel détail. Là, ça sent l'explication du style Esprits criminels, mais en bien pire. Ça ne tient pas la route une seconde d'un point de vue psychologique, car même dans Esprits criminels on vous dira que quelqu'un qui bascule dans une crise psychotique meurtrière a déjà des sacrés problèmes avant. Là non (attention au divulgâchage), hop, il fait un peu trop chaud, on comprend que son mari ne vous aime plus vraiment et hop, on zigouille sa fille. Eh ben...

C'est dommage, parce que, déjà, ce chemin tortueux que prend Ann, cette obsession à comprendre et reconstituer, mais de façon obsessionnelle, et finalement malsaine, peu tangible, beaucoup trop subordonnée à l'imagination, à l'invention, au fantasme, est le thème captivant du roman. Ainsi que la question de l'enfance, la thème de la relations entre les deux soeurs dont l'aînée est en train de changer, thème qui n'est malheureusement pas mené à son terme. Une lecture qui fut donc une découverte prenante, un bon moment, qui traite d'un sujet passionnant, mais qui m'a carrément laissée sur ma faim.
Commenter  J’apprécie          632



Ont apprécié cette critique (58)voir plus




{* *}