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Critique de Christw


Au printemps, les papillons monarques nés au Mexique partent vers la région des Grands Lacs nord-américains. Ils traversent les États-Unis en six mois, soit trois générations. La quatrième, née au canada, entreprend le retour vers les forêts mexicaines en une seule génération qui vit sept mois. Ces individus, qui sont donc les arrière-petits-enfants de ceux qui en sont partis un an plus tôt, se reposent l'hiver pour se reproduire en mars et c'est reparti pour un cycle. Comment savaient-ils où se rendre, retrouver ces forêts du Michoacán, exactement là où naquirent leurs aïeux?

Une merveilleuse métaphore qui illustre l'ambition de ce roman généreux sur la mémoire initié par le tandem Sébastien Rutés ("La vespasienne") et le Mexicain Juan Hernández Luna. le thème apparaît dans l'épigraphe de Léon-Paul Fargue: "Nos ossements, prolongement des squelettes de nos grands-pères" ("Haute solitude"). Mais aussi dans une autre citation en exergue, de la chanson de Lennon-McCartney "Do you want to know a secret ? "

La première partie du roman est un échange de lettres. Augusto Solis, artiste dessinateur, homme cultivé, vit au Mexique. Il est éperdument épris de Loreleï retournée à Paris. Il lui écrit sans recevoir de réponse jusqu'au jour où un certain Jules Daumier, vendeur de journaux, qui occupe désormais l'appartement où elle vivait, informe l'amoureux du déménagement de la jeune femme : "Cette lettre n'est pas celle que vous attendiez..." Les deux hommes entreprennent une correspondance où naît l'amitié : nous sommes dans les années trente-cinq, la situation politique est tendue en Europe, il arrive que les lettres – lentes, par bateau – se croisent, Jules Daumier est de gauche, c'est le Front Populaire. Puis Loreleï réapparaît en compagnie d'un officier allemand lors de matches de lutte au Vél d'Hiv. Départ d'un vaste projet narratif, qui ira bien au-delà du conflit mondial, qui jouera presque même un rôle dans la grande Histoire où l'on convoite un trésor de guerre de l'Espagne franquiste. Blanche-Neige comme outil de propagande nazie ? Walt Disney et Hollywood, Goebbels et Hitler en personne et l'univers de la lutte libre, à travers ce catcheur atteint d'acromégalie qui fait songer à Shrek. Et bien entendu la belle Loreleï, évanescente, plus fantasmatique que réelle, projection du désir amoureux et de l'affection maternelle. Contrairement au bandeau allusif de l'éditeur, la sensualité n'occupe pas une dimension particulière dans ce roman.

La construction du livre est baroque, donnant un ensemble aussi déroutant que captivant. Au bout, j'ai trouvé cela très imaginatif, d'une belle ampleur. Il faut savoir que ce roman à quatre mains décidé par Rutés et Luna en 2008 a vu le second disparaître de maladie en 2010, laissant le français terminer seul. "Il a fallu m'approprier des personnages qui n'étaient pas les miens. [...] Nous écrivions différemment. Moi, je vais lentement, je travaille chaque phrase, j'attends d'être satisfait avant de passer à l'autre. Juan écrivait à toute vitesse... [...] Souvent, face à ces premiers jets, il m'a fallu imaginer comment il les aurait réécrits. [...]. le plus difficile fut de dépasser le statut de relique des chapitres de Juan, oublier qu'ils étaient ses derniers écrits, que j'avais la responsabilité de les préserver alors qu'il fallait aussi les modifier pour rendre l'ensemble cohérent [...]." (Note de S. Rutés).

J'au le sentiment que l'on trouve dans les pages plus avancées du livre l'harmonie d'une plume unique et l'ensemble y gagne ; ainsi cette émouvante voix derrière la dune où reposent les personnages centraux. La dernière partie du récit fait écho à la première, épistolaire, mais, autres temps, il s'agit d'échange de courriels entre les descendants de ceux qui, en monarques, nous ont transportés au fil d'un récit intuitif et intelligent.
Lien : https://christianwery.blogsp..
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