André Beucler : Dimanche avec
Léon-Paul FargueOlivier BARROT présente le livre d'André Beucler sur
Léon-Paul Fargue.
La poésie n'a lieu que pour quelques-uns.
Et pourtant, elle se manifeste partout.
Point n'est besoin d'écrire pour avoir de la poésie dans ses poches.
Discerner le murmure des mémoires, le murmure de l'herbe, le murmure des gonds. Il s'agit de devenir silencieux pour que le silence nous livre ses mélodies. Écrire, c'est savoir dérober des secrets.
REVES
Un enfant court
Autour des marbres...
Une voix sourd
Des hauts parages...
Les yeux si graves
De ceux qui t'aiment
Songent et passent
Entre les arbres...
Aux grandes orgues
De quelque gare
Gronde la vague
Des vieux départs...
Dans un vieux rêve
Au pays vague
Des choses brèves
Qui meurent sages...
(Pour la musique)
J’ai tant rêvé, j’ai tant rêvé que je ne suis plus d’ici.
La statue de bronze
La grenouille
Du jeu de tonneau
S'ennuie, le soir, sous la tonnelle...
Elle en a assez!
D'être la statue
Qui hurle en silence un grand mot: Le Mot!
Elle aimerait mieux être avec les autres
Qui font des bulles de musique
Avec le savon de la lune
Au bord du lavoir mordoré
Qu'on voit, là-bas, luire entre les branches...
On lui lance à coeur de journée
Une pâture de pistoles
Qui la traversent sans lui profiter
Et s'en vont sonner
Dans les cabinets
De son piédestal numéroté!
Et le soir, les insectes couchent
Dans sa bouche...
Il n’est pas nécessaire d’écrire pour être poète…
Il n’est pas nécessaire d’écrire pour être poète.
Il faut et il suffit d’être en état de grâce
et de contemplation.
KIOSQUES
En vain la mer fait le voyage
Du fond de l'horizon pour baiser tes pieds sages.
Tu les retires
Toujours à temps.
Tu te tais, je ne dis rien,
Nous n'en pensons pas plus, peut-être.
Mais les lucioles de proche en proche
Ont tiré leur lampe de poche
Tout exprès pour faire briller
Sur tes yeux calmes cette larme
Que je fus un jour obligé de boire.
La mer est bien assez salée.
Une méduse blonde et bleue
Qui vient s'instruire en s'attristant
Traverse les étages bondés de la mer,
Nette et claire comme un ascenseur,
Et décoiffe sa lampe à fleur d'eau
Pour te voir feindre sur le sable
Avec ton ombrelle, en pleurant,
Les trois cas d'égalité des triangles.
Recueil Ludions
Anecdote sur Léon-Paul Fargue. Traversant une période difficile, il vient solliciter une pension auprès d'un fonctionnaire de ministère. Le même fonctionnaire le retrouve quelques heures plus tard, attablé chez Lipp, devant un dîner fin de gourmet et des vins de choix. Etonnement du fonctionnaire, réponse de Fargue: "C'est déjà bien assez d'être pauvre, s'il fallait encore se priver de tout !".
Fais-moi quitter mon corps visible.
J'escaladerai les échelles
Des épreuves et des blessures,
Je traverserai les systèmes,
Incube de tous les soleils,
Goutte de feu, goutte de boue,
Dans ma soif de te reconnaître,
Sans toi, sans ta douceur sévère,
Ma vie n'est que le rêve d'un rêve
Hanté de fantômes trop tendres...
( " L'exil")