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Critique de Presence


Ce tome contient l'adaptation en bandes dessinées (en 12 épisodes parus en 2006/2007) du livre Clive Barker Secret show. L'adaptation en scénario est réalisée par Chris Ryall, l'histoire est illustrée par Gabriel Rodriguez (le dessinateur de la série Locke & Key).

Randolph Jaffe (un célibataire tassé et peu avenant) est affecté dans un bureau de poste qui traite tous les courriers égarés de la poste américaine, dans la ville d'Omaha, dans l'état du Nebraska. Au fil de ses journées passées à ouvrir des lettres et des colis perdus, dans une pièce en sous-sol, il finit par subodorer l'existence d'une forme de pratique magique dénommée Art. Il est fasciné par ce concept et il déniche Kissoon, l'un des derniers pratiquants de cet Art. Malheureusement la rencontre ne débouche pas sur une entente. Il décide alors de faire équipe avec un chercheur scientifique peu conventionnel : Richard Wesley Fletcher. Ce dernier a mis au point une substance liquide appelée Nuncio qui permet de faciliter l'accès à cet Art. L'objectif de Jaffe est d'accéder à une mer appelée Quiddity. Cette quête va se poursuivre avec la génération suivante, en particulier les jumeaux Jo-Beth et Tommy Ray, et Howard Katz, dans la ville de Palomo Grove en Californie.

Adapter un livre en bande dessinée est un pari risqué. le scénariste doit trouver le bon équilibre entre la fidélité au texte et l'obligation de convertir les scènes en utilisant les codes narratifs spécifiques à la bande dessinée. le dessinateur doit donner une apparence aux descriptions du romancier, avec le risque de choisir des visuels très éloignés de la représentation mentale des lecteurs du roman. La scène d'ouverture est remarquable de justesse. Rodriguez donne une apparence mémorable et légèrement dérangeante à Randolph Jaffe. Il dessine une pièce des lettres perdues crédible, sans être stéréotypée. Il arrive à faire passer le caractère obsessionnel et compulsif de Jaffe. Ryall choisit le bon dosage de texte pour compléter les dialogues par quelques phrases densifiant le niveau d'informations, sans que le lecteur ait l'impression de lire des extraits du livre. Puis arrive la rencontre avec Kissoon. La première page montre comment Jaffe dérive légèrement de la réalité traditionnelle pour se retrouver devant Jaffe : même dextérité des auteurs à transcrire la sensation décrite par Barker, et à ne conserver que le strict nécessaire en termes de prose. Arrive le dialogue entre Jaffe et Kissoon, et là les auteurs perdent le bon dosage. La mise en scène est plate, les dialogues ne font qu'énoncer les informations, sans sentiments ou empathie.

Le roman initial de Clive Barker compte plus de 600 pages, et en fait il s'avère difficile de faire tenir tout le roman en seulement 265 pages de bande dessinée. Donc parfois, Ryall et Rodriguez doivent gaver quelques scènes d'un maximum d'informations pour pouvoir tout raconter, ou plutôt pour pouvoir caser toutes les informations nécessaires à la compréhension de l'intrigue. Contrairement à une bande dessinée originale, les 2 auteurs n'ont pas toujours la latitude concevoir et d'organiser chaque scène en fonction du médium dans lequel ils racontent leur histoire. Cela ne veut pas dire que le résultat est médiocre, ou même mauvais ; cela veut dire que certains passages sont 100% dédiés à fourguer les informations au lecteur de manière artificielle. Malgré ce défaut, Ryall parvient à transposer les concepts inventés par Barker, sans les dénaturer, que ce soit Quiddity, le culte Shoal, le Cosm et le Métacosm, etc. L'histoire se déroule de façon logique, la majeure partie des personnages dispose d'une épaisseur suffisante. Mais le lecteur sent bien que certaines choses ont dû être sacrifiées. Par exemple le personnage d'Howard Katz semble bien falot. Il est vraisemblable que Ryall a dû élaguer les scènes où il apparaît jusqu'à le réduire à un dispositif narratif, plus qu'un individu pleinement développé.

Le travail de Gabriel Rodriguez est tout aussi délicat. le lecteur de "Locke & Key" reconnaîtra aisément son style, avec quelques maladresses qui ont disparu par la suite. Il a tendance à utiliser les yeux agrandis de manière un peu trop systématiques, et sa mise en scène des dialogues est terriblement figée. de même la première manifestation de l'Art pendant le premier combat entre Jaffe et Fletcher donne l'impression d'assister à des décharges d'énergie entre superhéros et supercriminel, plutôt qu'à la manifestation physique d'une énergie extradimensionnelle. de la même manière, le passage sur Ephemeris sent le manque d'inspiration pour transcrire la qualité magique du lieu. Enfin, les dessins de Rodriguez deviennent peu crédibles quand l'influence des mangas ou de J. Scott Campbell est trop présente (le passage des souvenirs sur Ephemeris).

Par contre, il dispose déjà d'un sens inné pour donner une apparence mémorable aux personnages. le faciès de Randolph Jaffe est inoubliable. Il porte à la fois la marque de son manque d'empathie pour son prochain, mais aussi une forme d'ambiguïté qui correspond à ses actions tout au long du récit. Il n'est pas possible de le détester complètement (et pourtant...). Avec la même dextérité, Rodriguez donne vie à Raul, une créature simiesque doté d'une conscience limitée. Dans le deuxième épisode, plusieurs jeunes femmes se livrent à un jeu de la séduction assez particulier, fort bien rendu qui transcrit à la fois leur charme et l'obscénité de leur démarche. À plusieurs reprises, Rodriguez montre une inventivité maîtrisée pour donner une forme visuelle aux créations ébouriffantes de Clive Barker. Par opposition aux décharges d'énergie magique trop conventionnelles, il trouve une solution graphique discrète et efficace pour le Nuncio, ou pour l'incroyable demeure du comique Buddy Vance. Il crée plusieurs décors remarquables (mais qui disparaissent parfois pendant plusieurs pages).

Cette adaptation en bande dessinée d'un roman de Clive Barker est divertissante d'un bout à l'autre et elle transcrit fidèlement plusieurs des concepts du roman. Ryall a l'art et la manière d'extraire la substantifique moelle de l'histoire, et Rodriguez sait imaginer des visuels mémorables qui capturent l'ambiance du roman. Mais ces capacités trouvent leur limite face au volume d'informations à inclure, et les scènes d'exposition souffrent parfois de leur nature trop unilatérale, de même que les personnages souffrent parfois de coupes sombres qui les réduisent à une esquisse.
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