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Critique de Charybde2


Une extrême inégalité tropicale, métaphorique et cruelle en diable, comme révélateur inattendu du coeur profond d'un dealer parisien en cavale – et de bien d'autres choses prêtes à naître ou renaître.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/24/note-de-lecture-drug-city-thomte-ryam/

Jeune patron d'un réseau de dealers parisiens et banlieusards, se rêvant volontiers poète, queutard impénitent raisonnant – semble-t-il – plus facilement avec son sexe qu'avec son cerveau, mais néanmoins chef de bande qui monte, Malik, aisément impulsif, n'a pas sur résister à la tentation : alors qu'il escortait deux gros trafiquants en goguette à l'allure inexplicablement maladroite, leur valise bourrée d'argent liquide s'est révélée une proie trop alléchante. S'enfuyant avec le magot, il lui faut se mettre au vert, vite et bien, sans attendre les probables représailles – et sans guère de souci, bien entendu, pour le reste de sa bande, voire pour son épouse et son enfant, qu'il cajole et roule dans la farine au quotidien, en bon macho puissamment caricatural qu'il paraît être au naturel. Tombant fugitivement sous le charme indiscret d'une vendeuse thaïlandaise de voyages exotiques, il met le cap sur Capacabana, île obscure des Caraïbes, entre Cuba et Haïti, dont le tarif aérien défie toute concurrence – peut-être bien au prix de quelques arrangements qu'il faudrait imaginer, mais qui passent d'abord logiquement très au-dessus de la tête de notre cavaleur, désormais à presque tous les sens du terme.

Découvrant sur place, même malgré son fort confortable matelas de billets de banque, ce que peut vouloir dire à certaines extrémités le concept de vie chère, sur cette île paradisiaque partagée quasi-hermétiquement entre un brutal piège à touristes nantis, vrai-faux paradis au financement particulièrement imaginatif, et un bidonville sauvage à ciel ouvert ou presque, terminus des illusions perdues ou toujours recréées, Malik déchante mais se ressaisit, avec son mélange unique d'aveuglement, de flair, de chance et d'improbabilités dignes des plus belles farces imaginables. Parviendra-t-il à régler ses innombrables problèmes ? Changera-t-il ou restera-t-il égal à lui-même, pour le meilleur et/ou pour le pire ? C'est ce que nous invitent à découvrir, en riant beaucoup mais pas uniquement, loin de là, les 150 pages du quatrième roman de Thomté Ryam, « Drug City », publié chez Au Diable Vauvert en octobre 2023.

Thomté Ryam nous avait déjà surpris et enchanté avec son « Next level » de 2019, plongée rusée et subtilement hallucinée dans un univers compétitif et complexe de jeu vidéo mondialisé « à la Grand Theft Auto« . Ce roman-ci est par certains aspects encore plus surprenant, même si le propos en semble d'abord fort différent. Construit initialement sur la vaillante armée de clichés hilarants de classe et de fonction entourant le personnage de Malik, dont on se prend d'abord à ne rien espérer, il plonge tout à coup l'ensemble des préjugés du personnage – et les nôtres, le cas échéant ! – dans un bain acide, extrêmement corrosif : en amplifiant à l'extrême la différence entre très riches et très pauvres (par un facteur de x10 ou x20 par rapport à ce qui pourrait s'être creusé, par exemple, entre l'Ouest et l'Est de Paris et de ses environs), l'île de Capacabana semble conçue, au-delà de son rôle purement lucratif et monétaire, pour provoquer soit l'abrutissement consumériste et clinquant presque terminal, soit le choc salutaire. Abordant ces rivages d'une manière peut-être pas si éloignée de celle d'un Julien Blanc-Gras (on songera certainement à son « Dans le désert », laissant entrevoir en arrière-plan « le stade Dubaï du capitalisme » de Mike Davis) qui aurait rencontré le Hunter Thompson de « Las Végas Parano » au détour d'une paillote de jazz, Thomté Ryam distille avec un art consommé une improbable rédemption, la résurrection d'un coeur et d'une conscience par une alchimie pour le moins inattendue d'arnaques et de contre-arnaques, de désespoirs et de générosités. Et si la folie de l'argent, portée à son point d'ébullition, finissait enfin par secréter son contre-poison, tout de solidarités jugées d'abord impossibles et d'élans contre-intuitifs là où l'on jure que « L'homme est un loup pour l'homme » et que l'objectif d'une vie doit être avant tout « d'avoir un beau costume comme moi » ? Malik en constitue peut-être ainsi la démonstration littéraire, aussi éclatante qu'elle paraissait pourtant si impossible au début du roman.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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