Frankenstein à Bagdad

Dans Frankenstein à Bagdad, l'auteur irakien Ahmed Saadawi catapulte le célèbre mythe de Mary Shelley dans le vibrant quartier bagdadis de Batawin. D'une explosion à l'autre se croisent les histoires multiples, rocambolesques et touchantes des habitants et du monstre patibulaire. Par l'usage du registre fantastique et un humour décapant, Ahmed Saadawi nous raconte l'absurdité inouïe de la réalité.

Le récit se déroule tout juste après la chute de Saddam Hussein. Bagdad est alors sous l'occupation des forces armées américaines et doit faire face à des répressions et des heurts violents entre groupes différents : chiites, sunnites, membres d'Al-Quaïda, anciens baasistes.

Hadi le chiffonnier, raconteur d'histoires et habitant de l'ancien quartier juif de Batawin, décide de fabriquer un homme à partir de morceaux de cadavres ramassés dans la rue après des attentats (il y a tout le temps des attentats). le monstre va prendre vie… et se mettre à tuer.

Dans le même temps, le lecteur découvre une ribambelle de personnages hauts en couleurs, du journaliste qui passe son temps dans des soirées avec son patron et fantasme sur la conquête de ce dernier, au brigadier nostalgique de l'époque Saddam, en passant par la vieille chrétienne assyrienne qui ne quittera sa maison pour rien au monde ou encore aux mages embauchés par les forces d'intervention pour prédire les attentats et autres crimes…

Avec le personnage du « Trucmuche », Ahmed Saadawi propose une lecture distanciée et symbolique du cataclysme ambiant. Icône ou messie pour les uns, diable pour les autres, cette créature composite, formée de morceaux de corps d'individus issus de toutes cultures et religions, renvoie à l'identité morcelée et tiraillée du pays. Un pays paumé, où on ne sait plus qui fait quoi, qui revendique quoi, qui manipule qui, qui sont les bons et les méchants.

Poétique et drôle, le récit relève parfois d'une insoutenable violence. Mais d'une Bagdad chaotique, l'auteur nous donne à voir la vie, courageuse et florissante. Les habitants de Batawin s'écoutent, s'entraident, se moquent, rivalisent, mais poursuivent tous les rêves les plus fous, sans en démordre, comme celui de faire refleurir son commerce hôtelier, celui de retrouver son fils mort au combat, celui de devenir riche et célèbre… Car l'espoir, l'imagination, la créativité, l'humour sont autant d'armes pour lutter contre la meurtrissure et l'absurdité du monde.

Par la magie et l'effroi, Ahmed Saadawi nous raconte l'incroyable réalité. Frankenstein à Bagdad est un peu comme un grimoire ; un livre à découvrir absolument.
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