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Critique de Sachenka


Héros et tombes (ou Alejandra, selon la version) est un roman déroutant, envoutant et mystérieux. Tout à fait dans l'esprit des romans d'autres grands noms de la littérature argentine de la première moitié du XXe siècle, par exemple Roberto Arlt et Adolfo Bioy Casarès. Ces romans à l'atmosphère glauque, peut-être vaguement gothique ou fantastique, dans tous les cas sombres et troublants. On aime ou on n'aime pas. Avec ce roman, l'auteur Ernesto Sabato nous livre un petit chef d'oeuvre dans lequel il exploite les thèmes qui lui sont chers (à lui comme à ses collègues), dont les sectes secrètes, l'amour impossible ou difficile sinon unilatéral, puis surtout ce rapport ambigu face au passé, à l'histoire. Tant individuelle que collective.

Héros et tombes, c'est le récit de Martin, un jeune homme de dix-sept qui tombe éperdument amoureux d'Alejandra. Mais cette jeune femme, farouche et indépendante, aime s'entourer de mystère et laisse le pauvre garçon dans l'expectative. Avec le temps, elle se laisse apprivoiser et, au fur et à mesure de leurs rencontres, Martin lève le voile sur le passé et surtout l'histoire familiale d'Alejandra. Cette histoire se perd et se mélange avec ses ancêtres et les bouleversements qui ont touché l'Argentine, de la guerre d'indépendance au début du 20e siècle. Son père Fernando, fou, son grand-père, etc. Toute cette lignée de héros a contribué (à sa façon) à la naissance de la nation mais qui représente aussi sa décadence et sa ruine prochaine.

Puis, tout d'un coup, on fait un retour dans le temps, on passe à son père Fernando, qui erre dans Buenos Aires. Une histoire imbriquée dans une autre, un énième élément caractéristique du style des auteurs mentionnés plus haut. J'admets avoir eu de la difficulté, parfois, à suivre le pauvre Fernando dans ses errances et, surtout, dans ses élucubrations. Il voue une haine à des groupes de personnes, se sent persécuté, cherche à déjouer un complot probablement inexistant. En effet, ce qu'il voit et expérience, est-ce la vérité, son inconscient qui lui joue des tours ou sombre-t-il dans la folie ? À vous de décider. Dans tous les cas, c'est troublant et effrayant.

Le dernier personnage de Héros et tombes, c'est la ville de Buenos Aires. Dès le début, Martin fait le tour des grandes artères animées et des lieux publics, toujours à la recherche d'Alejandra. Cette dernière, à travers les chroniques qu'elle raconte, en fait une visite historique, virtuelle, celle d'une ville qui n'est plus. Puis, Fernando déambule de nuit dans les quartiers sombres, présente un aspect surréaliste de la cité. Les mystères de Buenos Aires ? Pourquoi pas. Moi, ça m'a donné l'envie de visiter cette grande ville.

Enfin, le roman se termine sur le coup d'État de Peron. Coïncidence ? La décadence de la famille d'Alejandra est-elle le reflet de la ruine possible du pays ? L'actualité politique a toujours été une grande source d'inspiration pour les écrivains du sud du continent américain… Les héros sont dans la tombe, chanceux. Tout ce qu'il reste à faire, c'est oublier ou s'enfuir, essayer de se purifier, un peu comme Martin qui prend le chemin de la Patagonie. J'écris cela comme si c'était l'évidence même, d'autres pourront y lire autre chose. Je dois admettre que plusieurs zones grises persistent, je n'ai pas tout compris. Et c'est correct, même plusieurs jours après en avoir terminé la lecture, ce roman continue à m'habiter. C'est souvent le signe d'une oeuvre magistrale.
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