Citations sur Adore (30)
Ses talons claquent sur les pavés de la rue de Rivoli. Anabel inspire, expire l’haleine de la nuit. Bientôt elle sera chez elle, elle boira un thé avec sa colocataire devant la télévision, elle ira se démaquiller, retirer ses chaussures à talons, ses bas, son string de dentelles encore humide, son soutien-gorge, ses vêtements noirs. « Tu es adorable, tellement adorable. » Alors qu’elle approche de la colonne de la Bastille, Anabel se demande si c’est bien d’être adorable, si cela ne suffirait pas d’être seulement aimable, mais de l’être "vraiment".
"Elle haletait comme un animal. Un animal blessé dont la plaie s'écarte inexorablement. Et Verlaine tendait les doigts vers elle, il aurait voulu la rattraper, la relever, il voulait lui dire enfin combien il se sentait ignoble de l'avoir amenée jusque-là, devant lui. Il savait, il savait tellement que ce n’était pas cette honte-là qu’elle voulait ressentir à ses côtés : il pouvait la frapper et la baiser comme une chienne tant qu’il l’aimerait assez pour la faire sienne aux yeux du monde entier. Il n'avait pas su aller au-delà. L'aimer sans calcul."
"— Je suis amoureuse du cinéma de Lynch. Je l'aime parce que je n'arrive pas à expliquer pourquoi. En fait, je pourrais trouver mille raisons d'aimer les films de David Lynch, d'ailleurs je peux vous trouver mille raisons de l'aimer. C’est tellement sensoriel, sinueux, que je ne sais pas à quel niveau il me touche. C’est à la fois impur et doux, je suis incapable de l’expliquer avec exactitude. Comme si ça s’adressait à un niveau qui n’est pas intelligible... Je ne sais pas... C'est comme quand on aime réellement quelqu'un, on cherche à expliquer, mais c’est confus, à la fois évident pour soi et impossible à détailler pour les autres… Et on ne peut jamais dire totalement pourquoi."
"— Souviens-toi. Tu te reposes, tu apprécies le courrier de tes lecteurs, mais surtout tu écris ton nouveau roman au plus vite. Il n'y a qu'avec ça que tu continueras à avancer : en réalisant qu'un succès ou un échec, c'est la même chose. Ça doit te pousser à aller toujours au-delà."
"Verlaine regarde son éditeur en train de siroter son vin. Il n'ose pas lui dire que le vrai spleen qui le saisit quand il prend conscience de l'aura qui accompagne son livre, c'est un terrifiant sentiment de réussite. Ses deux premiers romans ont rencontré un succès d'estime qui lui a permis de continuer à écrire sans réellement se soucier des attentes de ses lecteurs."
"La sensation pénible le reprit le jour où il récupéra les photos. Bien qu'à chaque fois il fût déçu des images de ses amantes, il ne pouvait s'empêcher de vouloir capturer leurs bouches qui s'ouvraient démesurément alors que leurs yeux se fermaient sur leurs éparpillements de plaisir. Les corps animaux qui prenaient la place des corps humains, comme les chimères déchirent l'épiderme de ceux dont elles ont volé l'apparence pour s'incarner. Toujours, il ratait tout cela : le flash écrasait tout et recrachait des images sans âme, qui asséchaient l'ardeur du moment, l'objectif figeait les étreintes sans jamais les saisir. Pourtant il s'obstinait. Il rangeait les photos dans un album, et les revoyait non pour ranimer le souvenir de ces nuits sensuelles, mais pour se rappeler que dans son souvenir elles étaient justement bien plus vertigineuses que ces icônes dépouillées de fièvre. Ce jour-là, Verlaine se jura de ne jamais prendre Anabel en photo. Elle avait droit à mieux que d'être enfermée sur le papier de cette manière. Il ne voulait pas de ça pour invoquer son image et souvenir, il ne voulait pas d’elle comme simple souvenir. Il glissa une à une les photos dignes d'être conservées dans les pochettes translucides de l'album."
"— Tu n'avais pas le droit de me faire ça ! De m’offrir quelque chose d’aussi symbolique, de m’écrire un truc pareil ! M’ouvrir de plaisir jusqu’à la douleur, me demander tout ça et me quitter parce que tu ne pouvais plus me maîtriser ! C'est pour ça que tu mets tes femmes dans des albums photo. C'est pour ça que tu les sublimes en écrivant des romans. Parce que celles-là au moins tu peux en faire ce que tu veux ! Et regarde-moi quand je te parle, y a que moi ici, que moi que tu puisses implorer !"
"— Ce que tu n'as pas compris, c'est que je ne voulais pas d'une place de favorite. Moi, je voulais être la favorite et la reine !"
"— Tu as peur de tellement de choses... Tu as peur de répondre au téléphone. De répondre aux vraies questions. De tout ce que tu ne maîtrises pas à l'avance. Je peux continuer longtemps, mais entends-moi bien : tu as les peurs les plus mesquines et les moins excusables de la terre."
"— Tu crois que je les aimais mieux et plus que toi. Alors que je les baisais à la va-vite, et toujours après t’avoir prise et possédée jusqu’à l’âme. Et si tu crois que c'était pour maintenir la distance... Hé bien, tu crois foutrement bien. Mais ça ne marchait jamais, j'avais ton odeur sur moi, j'entendais tes cris enfouis derrière les leurs. Même en les empalant jusqu’à la garde, je pouvais toujours bien les frapper, jamais elles n'auraient marqué comme toi, jamais elles ne m'auraient montré cette grâce à fleur de chair. À la fin, c'est toi que j'avais envie de punir de ne pas être comme elles, de me rendre encore plus dégueulasse dans toutes ces situations. Alors qu'elles n'étaient simplement pas toi. Et que ça me foutait en l’air."