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Critique de Apoapo


Je suis époustouflé, abasourdi, admiratif devant ce court roman qui se dit « librement inspiré du destin véritable de Stella Goldschlag », chasseuse de Juifs à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et où le narrateur complètement ignare entre en possession de documents de sa grand-mère qui se confesse à titre posthume. La raison de mon admiration tient à la tension éthique constante qui empêche le lecteur à tout moment d'émettre un jugement définitif sur les agissements de la protagoniste, voire même sur son personnage tout entier. Compte tenu de la nature des faits, cette suspension du jugement relève du prodige. Il me semble que l'auteur y parvient par quatre moyens :
- sur le plan de la structure du récit, les interventions du narrateur sont minimes, et la plus grande partie du roman se compose de deux textes de la protagoniste : son adresse ultime à sa fille, désignée héritière universelle et destinataire de tous les documents autobiographiques de Vera, et son journal de guerre qui relate sans fard son basculement vers la délation et la traîtrise ;
- par conséquent, le point de focalisation du lecteur se porte insensiblement sur sa sympathie ou antipathie à l'égard de l'héroïne, et l'auteur a tout loisir de multiplier les ressorts pour susciter alternativement l'une ou l'autre, par-delà le récit des faits ;
- le passage d'un sentiment à son contraire est facilité par un usage abondant du paradoxe, dans les arguments des personnages – à commencer par celui du procureur (cf. cit. infra) – qui facilite la création d'une personnalité contradictoire chez la protagoniste, notamment au fil du temps, entre les deux textes présentés en ordre anti-chronologique ;
- d'autant plus que certaines autres subtilités psychologiques sont utilisées, comme la répétition intergénérationnelle de l'enfantement en l'absence d'une figure paternelle, ou l'interruption brusque du journal à un moment qui suggère la grossesse : le roman devient donc résolument matrilinéaire.

Spécifiquement, l'aspect contradictoire se manifeste entre une sorte d'arrogance teintée de feinte sérénité de la fin de vie de Vera – pourtant démentie par cette même fin de vie – où un sophisme de mauvaise foi est assumé sans le moindre questionnement, ainsi que son ambiguïté par rapport à ses démarches pour nouer un contact avec sa fille (cf. aussi l'apprentissage de l'hébreu et son activité professionnelle de traductrice), vis-à-vis du déchirement désespéré dont elle fait preuve dans sa jeunesse, lors de ses méfaits. Ces contradictions étoffent le personnage, lui rendent un caractère plus réaliste, plus incarné, et naturellement évitent que le lecteur tombe dans une relation univoque avec lui/elle.
Un deuxième aspect qui illustre les contradictions dans le parcours même de Vera Kaplan, auquel m'ont rendu sensible mes dernières lectures de Frédéric Gros et Pierre Bayard, c'est l'importance des rencontres dans les conflits éthiques : les actes ainsi que les pensées du personnage apparaissent fortement influencés, voire même déterminés par le personnage de Karl. Sur le plan psychanalytique, on peut émettre l'hypothèse que le narrateur transforme le questionnement éthique du jugement des actes de Vera sur celui de « l'infamie » ou de la « bénédiction divine » de son union avec Karl.
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