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Critique de Levant


Ma curiosité a fini par avoir raison de ma réticence. J'ai finalement mis un pied dans l'univers de Françoise Sagan. Ce n'est pas avec Bonjour tristesse que je l'ai fait, mais avec cet ouvrage, Les faux-fuyants.

Alors que je ne m'y attendais pas, je découvre un ouvrage empreint d'un humour de ma prédilection. Un humour subtil, piquant à souhait, autant pour ceux qui en sont la cible que pour son auteure. Car on sent bien qu'avec sa fronde bourgeoise Françoise Sagan veut se défaire de quelque chose qui lui colle à la peau et l'insupporte. Une étiquette, une réputation, une classification dans un courant de pensée lui donnant l'impression de n'être nulle part à sa place, de jouir d'un succès à la fois flatteur et encombrant. Comme lorsqu'elle fit irruption dans une assemblée d'étudiants en mai 68 au volant de sa Maserati. Il est des notoriétés qui sont lourdes à porter. le succès peut être écorcheur, c'est une affaire d'estime de soi.

Le titre de l'ouvrage lui-même est un condensé de cette ironie qui me paraît être une marque de fabrique chez l'auteure. Autant que dérobade, échappatoire, subterfuge et autres synonymes que le lexique affecte à l'expression, ce titre pourrait se concevoir - avec le sarcasme que Françoise Sagan applique volontiers à ses personnages dont elle se plaît à brocarder la suffisance et la vanité - se concevoir donc sans le trait d'union, tant lui semblent factices ces couards bien nantis fuyant la capitale sous l'avancée des troupes allemandes en 1940.

La débâcle étant un contexte particulièrement propice au brassage des classes, Françoise Sagan se fait une délectation de projeter ces Parisiens méprisant de tout ce qui n'est pas eux-mêmes dans le monde repoussant de la cambrousse. Ils y sont recueillis dans une ferme beauceronne après la destruction de leur limousine par l'aviation ennemie. Leur chauffeur a été tué par le mitraillage. Son cadavre leur est encombrant. Ils n'ont pas l'habitude de traiter des convenances envers le petit personnel, encore moins celle de prendre l'outil pour gratifier le défunt d'une sépulture décente.

Le décor est planté. Il ouvre à tous les clichés de la répugnance citadine à l'égard de ces attardés de péquenauds. Françoise Sagan ne se prive de rien pour lancer ses flèches empoisonnées contre cette bourgeoisie qui l'a vu naître. Sa naissance dans ce milieu ne lui donnait-elle pas des semelles de plomb pour afficher l'humanisme désintéressé de bon ton pour faire carrière en littérature. Suffisance, mépris, égoïsme se confrontent à la spontanéité paysanne. Les Parisiens sont mis à contribution dans les travaux de la ferme par la marâtre du lieu. Une forme d'imposition pour dédommager leurs hôtes de circonstance de leur pension. Françoise Sagan se complaît à passer nos rescapés sur le grill de la nécessité faisant loi pour leur faire rendre gorge de leur complexe de supériorité, leur absence de patriotisme à l'égard d'un pays qu'ils s'empressent de quitter dans l'adversité.

C'est avec une truculence sournoise que l'auteure rehausse l'intrigue d'une idylle bucolique. Une façon de restituer une part d'humanité à ces protagonistes imbus de leur personne. L'empire des sens n'a pas perdu de ses prérogatives dans la défaite. le fils de la marâtre a la rusticité séduisante et la jeune Luce n'y est pas insensible. Mais l'expérience campagnarde de nos parisiens sera de courte durée et leur sort tôt remis aux hasards de la guerre dans ce périple qu'ils espèrent salvateur.

Je ne suis pas déçu de ma découverte. J'ai apprécié le style badin avec lequel l'auteure au visage ennuagé de la fumée de son éternelle cigarette égratigne ces bourgeois sans scrupules quand il s'agit de préserver leurs intérêts, à commencer par leur intérêt à survivre à l'épreuve.
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