Citations sur Chemins de bord (15)
Tu es dans le sommeil du livre
quelque part dans l'inachevé
là où les noms vivent la nuit
là où vont s'ouvrir
dans les bogues de l'ombre
les yeux humides des chevaux
là où tressaille
ce frêle visage en fuite
dans l'affolement des feuilles
Tu longes les maisons désertes
prises dans le vieillissement des pierres
la pesanteur de ce qui vient
Le soir s'est vidé comme un lavoir
La dernière écolière à sa lucarne
attend peut-être son étoile filante
Et sur un évier blanc d'hiver
une main passe lentement l'éponge
sur des mésanges de carrelage.
Et je m'approche les mains aveugles
silencieuse comme une bruine
où s'échangent les formes
Je lève ton corps d'écorce
où vient se poser l'encolure
d'un cheval surgi de l'enfance
Derrière la clôture
je cherche la prairie ouverte
où l'instant foisonne
Langue lente la fable roule encore
dans les lourds sables rouges
Un nom revient dans les écumes
aux bouches ouvertes des épaves
Les dunes là-bas s'éboulent en silence
Langue immergée
flux et reflux sur tes épaules bleues
tes gestes échoués dans les algues du temps
ce rêve d'étrave ouvrant le corps du large.
CHEMINS DE BORD
L’œil questionne
L’œil questionne ce vieux rivage, de chocs,
de surrections, de blockhaus disloqués, rouges
sur le couchant.
La falaise ouvre ses archives de vertige. Ponctuées
de sternes et de cristes-marines.
Mots pris dans l’épaisseur du temps.
Des haillons d’écume cherchent le corps des vagues.
Surgi hors des eaux, saurien pétrifié, un îlot dressé
sur ses pattes, goélands à la gorge, nous fixe du
fond du crétacé.
p.17
CHEMINS DE BORD
Où sont les récitants...
Où sont les récitants de ce rivage ?
Boucanier et poètes, conteurs de tempêtes
et d’eldorados.
Mirage d’écailles.
Quelques grappins pour la mémoire errante.
Cormorans hiératiques sur la falaise, cordons de cris
rauques.
Soldat oublié dans es casemates.
Peigne de soleil ou de laminak.
Mais en fin de parcours la lande ouvre on orbite
béante sur la même noyée dans son lit d’algues
rouges.
p.18
CHEMINS DE BORD
Inscrit dans cette écriture
Inscrit dans cette écriture côtière en proie à l’érosion,
on en suit la ligne brisée.
Chronique trouée d’éclats de visages, tessons de
voix blessées, éclipses et naufrages.
Au bout de la jetée déserte le signal d’un feu pâle.
Aucune île ici n’apprivoise le large.
Corps, continents enfouis. Haleine lente des marées.
Baleines gisantes.
Sur le fil de la falaise, les hampes dressées des roseaux.
Calames sur l’abîme.
p.19
CHEMINS DE BORD
Il faut
Il faut bien quitter les auvents, suivre les appels d’air
et le bleu des voix.
La distance tend ses miroitements.
Chevilles enroulées de papiers errants, on traverse
des places vides de fête éteinte.
Un jeu d’arcades lointaines ouvre le livre de la mer.
Tout retourne à ce personnage gris qui arpente
l’estran, toujours entre deux rives.
p.12
CHEMINS DE BORD
À Versenvers
À Versenvers, les soirs sans rêve, on se rabat contre
les murs, les bras défaits, dans la cage des averses.
Animal oublié, qui tressaille à chaque lueur.
Toute chasse est achevée.
La nuit masquée remue à peine ses hochets de
paille sur nos têtes de son.
On cherche son visage ancien.
Et sur l’autre versant, des enfants crépusculaires
dont trembler leurs fêtes de métal.
p.11
CHEMINS DE BORD
ON FARDE MAL SON VISAGE
On farde mal son visage nocturne.
Ivoire craquelé, lèvres pivoine noire, moirures
nostalgiques.
Séquence recommencée de masques souffrants.
Processions somnambules sur leurs fausses pistes
de phosphorescences.
Par intermittences, trois motocyclistes sombres
emplissent l’espace de leur masse.
Dans les déchirures de l’ombre, une fenêtre blanche
bat, apatride.
p.15