AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Erik35


(...) ! OU QUOI ?

Pour une fois, votre humble serviteur va faire court (de toute manière, qu'apporter de plus et de neuf à ces centaines de critiques consacrées à ce sommet "iconique" comme il de mode de le dire en notre post-modernité épuisante et blafarde, certaines d'entre elles étant absolument excellentes, y compris parmi celles dont je ne partage pas forcément le point de vue).

J'avais donc annoncé, COURT ! Alors voici :

J'ai adoré détester ce bouquin !

Ou encore :

J'ai détesté adorer ce texte !

Lu trop tard ? Ecrit trop lointainement ? Ce style pseudo-"djeuns" m'a longtemps énervé, épuisé, emm***. Pour finir par, plus ou moins, l'accepter comme suit : un style n'ayant probablement jamais été parlé ni pensé par aucun adolescent nulle part sur la planète, y compris aux Etats-Unis d'Amérique, mais qui, parce qu'il est parfaitement inventé, fabriqué et artificialisé, a pu devenir une sorte de matrice et de représentante de tous les parlers "jeunes" à travers le monde occidental (ne soyons pas trop gourmands), d'hier comme d'aujourd'hui. Bien que je mette au défi quiconque de trouver un seul ado s'exprimant ainsi. Même à l'époque. En revanche, j'ai cru à nouveau "entendre" ces adolescents des (mauvaises) séries étasuniennes des années 60 et 70 que le petit écran français achetait et traduisait à la chaîne (sans mauvais jeu de mot) et qui s'exprimaient dans ce sabir parfaitement hors-sol et pourtant dans lequel chaque ado pouvait - relativement - se reconnaître. Tout en sachant bien que ça n'existait pas "vraiment".

J'ai détesté suivre ce pÔÔÔvre petit gosse de riches, blanc, protestant (bien que l'un de ses géniteurs soit catho... Oulala ! Quel drame !) de la côte Nord-Est des USA, de la "Grosse Pomme", même. Bref, un parfait petit "WASP" (et non "une petite" : n'exagérons pas les choses. Il fallait impérativement que ce soit un garçon, n'est-ce pas ?) avec son lot de tragédies pubères et de boutons d'acné, à l'extérieur comme à l'intérieur, ses dégoûts, sa fugue qui n'en est pas tout à fait une, ses formules toutes faites et ses pensées à l'emporte-pièce...

Pour autant, j'ai souvenir (encore un peu, malgré les décennies passées) de mes doutes d'alors, de cette fascination/répulsion pour la mort, de ce sentiment d'immense perte (celle de l'enfance, en particulier ; de son innocence, de sa nonchalance involontaire, de son immense gratuité, de cette faculté à se ficher des injonctions, de sa capacité d'émerveillement presque sans borne, de sa force d'amour sans attente de retour, etc), de l'incompréhension du monde liée non à un manque d'intelligence mais à un refus de vouloir tout autant que de réellement pouvoir s'y intégrer. D'une certaine colère quasi ontologique (et très hormonale) pouvant se muer, à n'importe quel moment, en violence. D'avoir longtemps cherché dans la lecture (et plutôt celle des "classiques") à la fois une sorte de dérivation à ce monde insupportable et insensé, de mise à distance de celui-ci, tout autant que d'éventuelles solutions probablement impossibles à ce mal être, ce "spleen" comme nous aimions à le dire, en bons admirateurs de la poétique baudelairienne que nous étions avec quelques unes et quelques uns de mes coreligionnaires... Cette capacité à dire "je déteste" alors qu'on pense "j'adore", à traiter tout le monde de crétins, de cons, d'imbéciles alors qu'on éprouve exactement l'inverse mais que c'est devenu tellement dur à dire. Qu'on aime autrui (en dehors de toute considération "amoureuse"). Cette révolte quasi permanente, parfois sans vraie cause ni vrai but, contre tout, à commencer contre soi-même.

Alors, je ne sais si nous avons tous été cet insupportable - et attachant - Holden Caufield, si nous sommes tous tombés amoureux de la mère d'un de nos copains, si nous avons tous tenu des propos proprement atroces sur l'autre part essentielle de l'humanité (en l'occurrence la féminine), si la plupart des adultes croisés nous ont fait proférer de tels discours de rejet, si les rares êtres à avoir alors bénéficié de notre bienveillance furent des enfants, mais il faut bien que je le reconnaisse : L'attrape-coeurs, écrit il y a pourtant quasiment soixante-dix ans (l'an prochain exactement), ne peut laisser de marbre, même si c'est pour le rejeter en bloc, ce que j'ai bien failli faire avant la moitié de ma lecture, même si c'est pour y éprouver une certaine gêne, même s'il est le fruit d'une construction intellectuelle que j'ai trouvée datée par bien des aspects (cette sorte d'anti-portrait de l'artiste en jeune WASP m'a franchement exaspéré), et pourtant d'une force et d'une violence vraie à bien des moments de la pensée de ce jeune homme, homme par ce corps démesurément grand, déjà trop "viril" et pourtant jeune de toute cette enfance qu'il se refuse à quitter franchement, mais qui craque de partout. La perte infinie de son Jardin d'Eden.

Ce qui demeure parfaitement contemporain dans cette oeuvre presque subversive de J-D Salinger (songeons que c'est pour ainsi dire son oeuvre exclusive, même s'il a encore un peu écrit après), c'est qu'après des siècles de "romans d'apprentissage" plus ou moins bien fait, plus ou moins moralisateurs mais toujours destinés à montrer une progression - de l'enfance vers l'âge adulte via ce que le XXème siècle nommera "adolescence"-, le reclus de Cornich (New-Hampshire) a pour ainsi dire créé l'anti-roman d'apprentissage à travers ce portrait d'un ado, lui-même parfait anti-héros (type de personnage très largement pré-existant à l'époque mais qui n'était jusqu'alors représenté que par des adultes "faits"). Là réside, il me semble le "scandale" qui perdura des années : un adolescent ne pouvait (ne peut ?) devenir que meilleur, ne pouvait (ne peut ?) que s'améliorer en tendant vers l'âge adulte, se devait (se doit ?) d'entrer avec ferveur et délices dans le monde des "grands". J.D. Salinger nous a définitivement montré que c'était loin, très loin d'être aussi simple et si stupidement avancé.

À moins qu'il n'ait été le témoin privilégié et presque prophétique d'un changement radical d'ère... Celui vers lequel il semble que nous tendions : un monde entier fait d'adulescent libidineux à la recherche impossible d'une enfance éternelle ? Voire.

J'aurai donc fait moins court qu'annoncé. Et si je persiste à affirmer que ce roman n'a pas provoqué chez moi l'enthousiasme tant auguré (que je me suis morfondu à la lecture de certains chapitres ! Non parce qu'il ne s'y passait rien ou presque : cela ne me pose aucun problème dans la mesure où la richesse d'un texte se situe ailleurs que dans l'action. Mais justement, certains moments m'ont semblé d'une pauvreté abyssale), ces lignes bien plus longues que celles prévues plus haut, alors que ma toute première lecture de L'attrape-coeurs a déjà quelques semaines, semble à tout le moins être la preuve que ce roman (d)étonnant ne m'a pas laissé de marbre.

Sans aucun doute faudra-t-il que je m'y replonge une autre fois.
Commenter  J’apprécie          2810



Ont apprécié cette critique (28)voir plus




{* *}