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Citations sur Un jour rêvé pour le poisson banane (2)

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- Voilà, dit-elle. (Elle reboucha le flacon d'huile solaire.) Maintenant, cours jouer, mon Minou. Maman va remonter à l'hôtel prendre un martini avec Mme Hubbel. Je te rapporterai l'olive.
Libérée, Sybil rejoignit en courant la bordure plate de la plage et se mit à marcher vers le Pavillon du Pêcheur. Elle ne s'arrêta qu'une fois pour enfoncer le pied dans un château de sable effondré. Elle fut bien­tôt hors des limites de la portion de plage réservée aux pensionnaires de l'hôtel.
Elle parcourut encore quelques centaines de mètres, puis, soudain, obliqua et remonta en courant vers le côté de la plage où le sable était mou. Elle s'arrêta net devant le jeune homme étendu sur le dos.
- Tu ne viens pas dans l'eau, voir encore plus de verre? dit-elle.
Le jeune homme tressaillit, porta sa main droite sur les pans de son peignoir en tissu-éponge. Il se retourna sur le ventre en faisant glisser la serviette roulée qu'il avait sur les yeux. Il leva vers Sybil un regard de biais.
- Hello, Sybil !
- Tu ne viens pas dans l'eau?
- Je t'attendais, dit le jeune homme. Quoi de neuf ?
- Quoi ? dit Sybil.
- Quoi de neuf ? Quels sont les événements ?
- Mon papa arrive demain avec le navion, dit Sybil en l'éclaboussant de sable.
- Pas dans la figure, bébé ! dit le jeune homme, et il emprisonna dans sa main une des chevilles de Sybil. Eh bien, il était temps qu'il arrive, ton papa. Je l'ai attendu pendant des heures. Des heures !
- Où est la dame? dit Sybil.
- La dame?
Le jeune homme enleva un peu de sable de ses che­veux fins.
- C'est difficile à dire, Sybil. Elle peut se trouver en ce moment dans un millier d'endroits. Chez le coiffeur, par exemple, pour se faire teindre vison. Ou bien dans sa chambre, en train de fabriquer des pou­pées pour les petits pauvres.
A ce moment, couché sur le ventre, il mit ses poings l'un sur l'autre et posa son menton dessus.
- Parle-moi d'autre chose, Sybil, dit-il. Tu as un bien joli maillot. S'il y a quelque chose que j'aime, c'est bien les maillots bleus.
Sybil le regarda, étonnée, puis baissa les yeux sur son petit ventre proéminent.
- Mais c'est un jaune, dit-elle. C'est un jaune !
- Non? Approche un peu.
Sybil fit un pas en avant.
- Tu as absolument raison. Je suis complètement idiot.
- Tu ne viens pas dans l'eau ? dit Sybil.
- Je suis en train d'étudier la question. J'y réflé­chis énormément, Sybil, à un point que tu ne croirais pas.
Sybil tâta la bouée de caoutchouc que le jeune homme utilisait comme oreiller.
- Elle a besoin d'air, dit-elle.
- Tu as raison. Elle a besoin de plus d'air que je n'ai envie de lui donner.
Il retira ses poings et laissa son menton reposer sur le sable.
- Sybil, dit-il, tu es resplendissante. C'est bon de te voir. Parle-moi de toi...
II avança les mains et emprisonna les deux che­villes de Sybil.
- Je suis un Capricorne, dit-il. Qu'est-ce que tu es, toi ?
- Sharon Lipschutz a dit que tu l'avais laissée s'asseoir à côté de toi, sur le tabouret du piano, dit Sybil.
- Sharon Lipschutz a dit ça?
Sybil hocha vigoureusement la tête.
Il lâcha ses chevilles, ramena ses mains et posa sa joue sur son bras droit.
- Eh bien, dit-il, tu sais comment ces choses-là arrivent, Sybil. J'étais assis là, en train de jouer. Et tu n'étais nulle part dans les parages. Sharon Lipschutz est arrivée, et elle s'est assise près de moi. Je ne pou­vais tout de même pas la repousser, non?
- Si !
- Oh, non. Non, je ne pouvais pas faire ça, dit le jeune homme. Mais je vais te dire ce que j'ai fait.
- Quoi ?
- J'ai imaginé que c'était toi.
Sybil s'accroupit et se mit à creuser dans le sable.
- Allons dans l'eau, dit-elle.
- Très bien, dit le jeune homme, je crois que c'est dans mes moyens.
- La prochaine fois, repousse-la, dit Sybil.
- Repousse qui?
- Sharon Lipschutz.
- Oh, Sharon Lipschutz, dit le jeune homme. Comme ce nom revient, mêlant les souvenirs et le désir!
Il se mit brusquement sur ses pieds. Il regarda l'océan.
- Sybil, dit-il, je vais te dire ce qu'on va faire. On va voir si on peut attraper un poisson-banane.
- Un quoi?
- Un poisson-banane, dit-il, et il dénoua la cein­ture de son peignoir. Il retira le peignoir. Ses épaules étaient blanches, étroites, et ses veines étaient bleues. Il plia le peignoir une première fois dans le sens de la longueur, puis en trois dans l'autre sens. Il déroula la serviette qu'il avait tout à l'heure sur les yeux, l'étala sur le sable et posa le peignoir dessus. Il se baissa, ramassa la bouée et la plaça sous son bras droit. Enfin, de la main gauche, il prit la main de Sybil. Ils partirent tous les deux vers l'Océan.
- Je suppose que tu n'as pas vu beaucoup de poissons-bananes dans ta vie? dit le jeune homme.
Sybil secoua la tête.
- Pas beaucoup, hein? Au fait, où habites-tu?
- Je ne sais pas, dit Sybil.
- Bien sûr que si, tu sais. Il faut bien. Sharon Lipschutz sait où elle habite, elle, et elle n'a que trois ans et demi.
Sybil s'arrêta et retira brusquement sa main. Elle ramassa un coquillage et le regarda avec un intérêt étudié. Elle lejeta par terre.
- Whirly wood, Connecticut, dit-elle, et elle reprit sa marche ventre en avant.
- Whirly wood, Connecticut, dit le jeune homme. Est-ce que ça ne serait pas quelque part près de
Whirly wood, Connecticut, par hasard?
Sybil le regarda.
- Mais c'est là que j'habite! dit-elle avec impa­tience. J'habite à Whirly wood, Connecticut.
Elle fit quelques pas en courant devant lui, attrapa son pied gauche avec sa main gauche et sauta deux ou
trois fois à cloche-pied.
- Tu ne peux pas savoir comme tout devient clair, dit le jeune homme.
Sybil lâcha son pied.
- Est-ce que tu as lu Le Petit Sambo noir? dit­-elle.
- Vraiment, c'est drôle que tu demandes ça, dit-il. Je l'ai justement fini hier soir.
Il chercha la main de Sybil et la reprit dans la sienne.
- Qu'est-ce que tu en penses ? lui demanda-t-il. - Tu te rappelles quand les tigres ont bondi tout autour de l'arbre?
- J'ai cru qu'ils n'arrêteraient jamais. Je n'avais jamais vu tant de tigres.
- Il y en avait seulement six, dit Sybil.
- Seulement six! dit le jeune homme. Tu appelles ça seulement!
- Tu aimes la cire? demanda Sybil.
- J'aime quoi? dit le jeune homme.
- La cire?
- Beaucoup, et toi ?
Sybil fit oui de la tête.
- Tu aimes les olives? demanda-t-elle.
- Les olives? Oui. Les olives et la cire. Je ne vais jamais nulle part sans en emporter.
- Tu aimes Sharon Lipschutz? demanda Sybil.
- Oui, oui, je l'aime, dit le jeune homme. Ce que j'aime particulièrement chez elle, c'est qu'elle ne fait jamais de méchancetés aux petits chiens dans le hall de l'hôtel. A ce petit bull-dog miniature, par exemple, qui est avec cette dame du Canada. Tu ne me croiras peut-être pas, mais il y a des petites filles qui s'amusent à le piquer avec le bâton de leur sucette. Mais pas Sharon. Elle n'est jamais mesquine ou méchante. C'est pour ça que je l'aime tellement.
Sybil se taisait.
- J'aime mâcher de la bougie, dit-elle enfin.
- Qui n'aime pas ça, dit le jeune homme, en trempant ses pieds dans l'eau. Brrrr! Elle est gelée.
Il laissa tomber la bouée.
- Non, attends une seconde, Sybil, attends que nous soyons un peu plus loin.
Ils pataugèrent jusqu'à ce que Sybil eût de l'eau jusqu'à la taille. Là, le jeune homme la souleva dans ses bras et la posa sur le ventre, sur la bouée.
- Tu ne mets jamais de bonnet de bain ou quel­que chose? demanda-t-il.
- Me laisse pas partir, ordonna Sybil. Tiens-moi bien.
- Mademoiselle Carpenter, je vous en prie, je connais mon métier, dit le jeune homme. Tout ce que tu as à faire, c'est d'ouvrir les yeux bien grands pour voir les poissons-bananes. C'est le jour rêvé pour le poisson-banane.
- J'en vois pas, dit Sybil.
- Ça se comprend. Ils ont des habitudes bizarres, très bizarres.
Il continuait à pousser la bouée. Il avait de l'eau jusqu'à la poitrine.
- Ils ont un sort tragique, dit-il. Tu sais ce qu'ils font, Sybil ?
Elle fit non de la tête.
- Eh bien, ils entrent dans un trou où il y a plein de bananes. Quand ils entrent, ce sont des poissons comme les autres. Mais une fois dedans, ils se conduisent comme des cochons. Tu sais, j'ai vu une fois un poisson-banane entrer dans un trou à bananes et en manger pas moins de soixante-dix-huit.
Il poussa la bouée et son occupante un peu plus loin vers le large.
- Naturellement, après, ils sont si gras qu'ils ne peuvent plus ressortir du trou. Ils ne peuvent plus repasser la porte.
- Pas trop loin, dit Sybil. Qu'est-ce qui leur arrive ?
- Qu'est-ce qui arrive à qui ?
- Aux poissons-bananes.
- Oh, tu veux dire après qu'ils ont mangé tant de bananes et qu'ils ne peuvent plus sortir du trou?
- Oui, dit Sybil.
- Eh bien, ça me crève le coeur de te le dire, Sybil, ils meurent.
- Pourquoi? demanda Sybil.
- Eh bien, ils attrapent la fièvre des bananes. C'est une maladie terrible.
- Attention, une vague, dit Sybil nerveusement.
- On va pas la voir. On va la snober, dit le jeune homme. Deux bêcheurs.
Il prit les chevilles de Sybil, et d'une poussée l'envoya en avant. La bouée piqua sur le dos de la vague. L'eau trempa les cheveux blonds de Sybil, mais son hurlement était plein de plaisir.
De la main, quand la bouée fut à nouveau immo­bile, elle écarta de ses yeux une mèche de cheveux trempés et déclara :
- J'en ai vu un.
- Un quoi, ma chérie?
- Un poisson-banane.
- Seigneur, pas possible ! dit le jeune homme. Est-ce qu'il avait des bananes dans la bouche?
- Oui, dit Sybil. Six!
Le jeune homme prit brusquement un des petits pieds mouillés qui pendaient par-dessus le bord de la bouée, et l'embrassa.
- Hé ! fit la propriétaire du pied en se retournant.
- Hé, toi-même ! On va rentrer maintenant. Ça te suffit?
- Non!
- Désolé! dit-il, et il poussa la bouée vers la plage jusqu'à ce que Sybil pût descendre. Il prit la bouée pour sortir de l'eau.
- Au revoir, dit Sybil, et elle partit en courant, sans regret, vers l'hôtel.

Le jeune homme enfila son peignoir, le ferma soi­gneusement et enfonça sa serv
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– Eh bien, ils entrent dans un trou où il y a plein de bananes. Quand ils entrent, ce sont des poissons comme les autres. Mais une fois dedans, ils se conduisent comme des cochons. Tu sais, j’ai déjà vu une fois un poisson-banane entrer dans un trou à bananes et en manger pas moins de soixante-dix-huit.
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