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Critique de chrysalde


Le 1er novembre 1838, George Sand, ses enfants et Chopin s'embarquent à Port-Vendres pour Barcelone. La destination finale est Majorque, dont on leur a vanté le climat. Il s'agit de passer l'hiver dans un pays tempéré pour la santé de Maurice fils de l'autrice et pour celle de Chopin.

Le récit de ce voyage parait 3 ans plus tard. Pourquoi si tard ? Plusieurs raisons à cela mais la plus simple est que les « belles choses » qu'ils envisageaient de vivre et de découvrir sur place ont été éclipsées par les avanies, les vexations, les privations. Les voyageurs ont quitté Majorque et l'Espagne avec le chagrin et la rancune au coeur. Dans ces conditions l'inspiration ne vient guère.

Elle écrit dans une correspondance à un ami : « Un mois de plus, et nous mourions en Espagne, Chopin et moi, lui de mélancolie et de dégoût, moi de colère et d'indignation. Ils m'ont blessée dans l'endroit le plus sensible de mon coeur, ils ont percé à coups dépingles, un être souffrant sous mes yeux, jamais je ne le leur pardonnerai, et si j'écris sur eux, ce sera avec du fiel ».

Mais que s'est-il donc bien passé à Majorque pour que Sand soit à ce point là pleine de rancoeur ?

C'est un texte riche en images, l'utilisation de nombreux adjectifs pour décrire les paysages, la comparaison entre paysages et pays qu'elle connait déjà (et que le lecteur est supposé connaitre également) afin de mieux aborder Majorque par le jeu des différences.

« En Suisse, le torrent qui roule partout et le nuage qui passe sans cesse donnent aux aspects une mobilité de couleur et pour ainsi dire une continuité de mouvement que la peinture n'est pas toujours heureuse à reproduire. La nature semble s'y jouer de l'artiste. A Majorque, elle semble l'attendre et l'inviter. Là, la végétation affecte des formes altières et bizarres ; mais elle ne déploie pas ce luxe désordonné sous lequel les lignes du paysage suisse disparaissent trop souvent. La cime du rocher dessine ses contours bien arrêtés sur un ciel étincelant, le palmier se penche de lui-même sur les précipices sans que la brise capricieuse dérange la majesté de sa chevelure, et, jusqu'au moindre cactus rabougri au bord du chemin, tout semble poser avec une sorte de vanité pour le plaisir des yeux. »

Cette richesse de la langue, des descriptions est un réel plaisir pour moi, lectrice. J'aime de temps en temps me plonger dans des textes « anciens » qui foisonnent de ces images peintes avec les mots. A l'époque les lecteurs étaient la plupart du temps sédentaires, n'avaient jamais été même à la ville voisine et prendre le temps de décrire le moindre détail leur permettait de vivre l'expérience lecture comme celle du voyage. Je pense à Flaubert qui prend une dizaine de pages de son livre pour décrire avec minutie la chaumière dans laquelle vit son héroïne. Si une autrice écrivait de la sorte maintenant on la trouverait dépassée, ennuyeuse, mais une fois plongé dans le contexte, lire du Sand, du Flaubert ou du Proust reste pour moi une expérience unique qui confère à de la méditation, aborder le temps long, ne pas s'impatienter pour connaître l'intrigue et pour palpiter … Il n'y a quasi jamais rien de palpitant dans ces textes, juste la beauté des mots, des imagines, et laisser libre court à son imagination pour se créer son propre paysage, son environnement.

Sand aborde dans son texte l'aspect géographique (à nouveau extrêmement détaillé, latitude, longitude … ) on imagine le lecteur prendre son sextant, la carte du monde est y reporter les données afin de visualiser où se situe exactement cette île.

Elle parle économie, commerce, culture, qualité des sols, elle y analyse la géopolitique, elle envisage la PAC avant l'heure, les échanges des biens, …mais aussi et surtout elle décrit les insulaires.

Et les termes qu'elle utilise ne sont guère élogieux :
- obstination et ignorance du cultivateur,
- elle n'a jamais vu travailler la terre si patiemment mais si mollement.
- Les machines les plus simples sont inconnues, les bras des hommes fort maigres et fort débiles comparativement aux nôtres … (nôtres étant les bras des paysans français)
- Absence d'idées, manque de prévoyance, il n'y a rien de si triste et de si pauvre au monde que ce paysan qui ne sait que prier, chanter, travailler et qui ne pense jamais …

Et là, la lectrice de 2022 s'insurge et se demande: mais pour qui se prend-elle cette dame qui écrit certes, son compagnon qui est connu dans le monde de la musique, certes … mais à quoi s'attendait elle en allant là bas ? A ce qu'on l'attende, elle, l'écrivaine, pour apprendre de son expertise, de ses judicieux conseils et de son expérience française pour commencer à vivre, à cultiver …

Je n'ai ressenti qu'arrogance et mépris de sa part pour les hommes qu'elle a rencontré là bas. Et ce besoin de toujours les comparer aux paysans français, aux paysans mais aussi aux bourgeois, aux nobles, aux curés … tout le texte n'est que critique. Les maisons sont des taudis, la décoration est digne d'une auberge française minable … tout y passe, et toujours sur le même ton du « je sais tout, ce que l'on fait en France devrait être la norme et la façon dont vous vivez n'est qu'une succession de misères et d'erreurs".
Je ne suis pas étonnée qu'en affichant cette disposition, les autochtones les aient si mal accueillis.

Qu'a-t-elle fait pour se rendre aimable ? Pour qui se prend-elle pour se permettre ces remarques aussi critiques, aussi négatives vis-à-vis de ces gens qui vivent dans leur pays à leur façon sans avoir besoin qu'une écrivaine qui ne sait que manier la plume vienne les critiquer de la sorte ? Elle m'a semblé terriblement insultante vis-à-vis de la classe laborieuse.

Son comportement de conquérante, d'experte ne méritait effectivement que ce qu'elle a ressenti, animosité de la part des autochtones, ces personnes se sont senties tellement insultées qu'elles lui ont mené la vie dure durant son séjour sur place. Elle le mentionne d'ailleurs elle-même dans son texte.

J'ai donc apprécié ma lecture pour la qualité de la plume mais j'ai été plus d'une fois outrée par la teneur du texte. On était certes à l'époque en plein essors du pays des lumières et il était fréquent pour les esprits éclairés de prendre pour quantité négligeable tout qui ne pensaient pas comme eux. Mais le lire de façon aussi ostentatoire dans un texte m'a profondément mis mal à l'aise.

Elle m'a vraiment fait penser à ces touristes qui encore aujourd'hui débarquent dans un pays lointain et critiquent tout ce qu'ils rencontrent : la cuisine est meilleure en France, les gens sont plus sympathiques en France, etc etc … et bien qu'ils y restent en France ! Pourquoi voyager pour aller à la rencontre de l'autre si c'est pour garder un esprit aussi fermé ?
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