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Critique de HundredDreams


J'aime les romans dans lesquelles les maisons ont une histoire et sont un point d'ancrage autour duquel s'organise l'intrigue.
Après « La maison dans laquelle », « La maison des feuilles », mes pas m'ont menée vers une maison enchantée qui manipule, domine, soumet et asservit.

« La maison était bien le véritable sujet de l'image, elle concentrait les énergies manipulatrices qui visaient à réduire les êtres à l'état d'objets. »

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Après des études brillantes en Histoire des Arts, Zoé, une jeune femme plutôt réservée et secrète, décide d'entamer une collection d'estampes, ses moyens financiers limités ne lui laissant pas la possibilité d'acquérir des oeuvres plus onéreuses.
Mais très vite, sa passion devient envahissante, obsédante, obsessionnelle. Et l'achat des premières pièces qui aurait pu calmer cet appétit grandissant, la frustre davantage, la tourmente, et la ronge de l'intérieur, empiétant sur son travail, sa vie privée, et l'isolant socialement.

« Tout ce qu'elle s'était refusé en corsetant sa vie, en la réglant à l'extrême, en contrôlant son quotidien, et qui ressurgissait dans ses rêves débridés, se trouvait là, sous ses yeux, réel et fantasmagorique. »

Alors qu'elle perd pied avec la réalité, elle fait la connaissance d'un étudiant travaillant dans une galerie pour financer sa thèse. Celui-ci va lui proposer de découvrir, en plein coeur de Paris, une collection privée unique et insolite dont il est le gardien. Malgré le caractère impénétrable et mystérieux de cet inconnu et le malaise qu'elle ressent en sa présence, sa curiosité est la plus forte et elle le suit.

« La curiosité malgré tous ses attraits / Coûte souvent bien des regrets. »

En pénétrant dans ce lieu chargé d'interdits et de mystère, on sent que Zoé s'enfonce, littéralement et métaphoriquement dans ce musée intime. Les espaces intérieurs se métamorphosent, l'emprisonnant dans un jeu de miroirs où se reflètent ses pensées et son obsession qui la consume.

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Le récit est bien mené, avec cependant quelques longueurs descriptives, mais on sent qu'Agathe Sanjuan maîtrise parfaitement son sujet. L'auteure est passionnante, elle nous transmet de nombreuses connaissances sur le monde de l'art et sur les techniques de l'estampe.

L'art me passionne. Je fréquente régulièrement les musées mais j'hésite souvent à franchir la porte d'une galerie, ne me sentant pas à ma place et ne souhaitant pas acquérir d'oeuvre d'art.
En collectionneuse avertie, Zoé nous invite à pénétrer dans ce milieu passionnant et fermé.
Elle nous guide dans tous ces lieux dédiés à sa passion, et on s'imprègne de ces ambiances feutrées, précieuses et calmes. Elle nous initie aux codes artistiques, nous délivre quelques clés de lecture pour comprendre le sens des oeuvres et on se passionne pour l'art ancien de l'estampe

Mais on découvre également la face cachée de ce monde, les acquéreurs préférant souvent garder l'anonymat. C'est donc aussi un voyage dans la solitude du collectionneur.
L'auteure, avec beaucoup de justesse, nous interroge sur le choix réfléchi avant d'acquérir une oeuvre, le plaisir d'en détenir, la frénésie d'achat d'art, le caractère privé et intime de ces possessions.

« Une fois chez elle, elle défit le paquet sur la table de la cuisine. À l'aide d'un couteau fin, elle fendit les morceaux de scotch qui maintenaient l'ensemble, dégagea les cartons de protection, et se retrouva face à la blancheur du papier. Elle eut l'impression de déshabiller quelqu'un, de violer son intimité, mais se dit qu'il s'agissait de sa propre intimité, de son choix, mis à distance, qu'elle dénudait. Elle caressa la feuille, effleurant du bout des doigts les parties encrées pour en sentir l'imperceptible relief. »

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L'écriture, belle, poétique, sensorielle, incarne parfaitement l'atmosphère sobre et distinguée que veut créer l'auteure. Elle parvient ainsi à transmettre toutes les sensations, les émotions qui animent Zoé.

Dans la deuxième partie, le récit se transforme et la visite clandestine de ce cabinet privé, aussi fascinante qu'angoissante, devient une forme de voyage initiatique entre rêves et réalité. L'ensemble se déroule dans une ambiance plus sombre, plus troublante, jusqu'à devenir menaçante et pesante.

« L'ogre repu reposait, attendant sa prochaine victime, qui lui fournirait son lot d'histoires, d'images, de rêves et de fantasmes. »

Se nichant entre onirisme, fantastique et gothique, l'imaginaire se teinte alors de visions cauchemardesques rappelant l'univers de Jérôme Bosch.

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Malgré quelques défauts de longueur, « La maison enchantée » est un bon premier roman dont l'ambiance mystérieuse émanant du dernier tiers du livre et l'originalité du thème m'ont séduite.
Dans ce livre, j'ai aimé les passages consacrés au monde de l'art, mais surtout les moments où le récit se vit comme un voyage initiatique et fantastique à travers les oeuvres, la collection privée et les rêves. Les obsessions, les angoisses personnelles les plus profondes s'y reflètent, laissant planer une impression d'étrangeté et d'inquiétude.
A découvrir.

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Il ne me reste plus qu'à remercier chaleureusement Babelio, les éditions « Aux forges de Vulcain », sans oublier Agathe Sanjuan pour cet agréable moment de lecture et la découverte d'une jeune auteure prometteuse.
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