AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782373051216
352 pages
Aux forges de Vulcain (04/03/2022)
3.45/5   33 notes
Résumé :
La beauté peut-elle sauver le monde ?

Zoé est une jeune femme discrète. Rien ne la distingue des autres, sinon une passion dévorante pour l'art, née à l'adolescence. Montée à Paris, elle entreprend d'abord des études d'histoire de l'art, qu'elle abandonne, persuadée qu'une telle voie détruirait, à terme, son amour des images. Elle finit par trouver un apparent salut dans la collection d'estampes. Mais un jour elle est conviée à visiter une collection ... >Voir plus
Que lire après La Maison enchantéeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
3,45

sur 33 notes
5
7 avis
4
8 avis
3
1 avis
2
1 avis
1
2 avis
J'aime les romans dans lesquelles les maisons ont une histoire et sont un point d'ancrage autour duquel s'organise l'intrigue.
Après « La maison dans laquelle », « La maison des feuilles », mes pas m'ont menée vers une maison enchantée qui manipule, domine, soumet et asservit.

« La maison était bien le véritable sujet de l'image, elle concentrait les énergies manipulatrices qui visaient à réduire les êtres à l'état d'objets. »

*
Après des études brillantes en Histoire des Arts, Zoé, une jeune femme plutôt réservée et secrète, décide d'entamer une collection d'estampes, ses moyens financiers limités ne lui laissant pas la possibilité d'acquérir des oeuvres plus onéreuses.
Mais très vite, sa passion devient envahissante, obsédante, obsessionnelle. Et l'achat des premières pièces qui aurait pu calmer cet appétit grandissant, la frustre davantage, la tourmente, et la ronge de l'intérieur, empiétant sur son travail, sa vie privée, et l'isolant socialement.

« Tout ce qu'elle s'était refusé en corsetant sa vie, en la réglant à l'extrême, en contrôlant son quotidien, et qui ressurgissait dans ses rêves débridés, se trouvait là, sous ses yeux, réel et fantasmagorique. »

Alors qu'elle perd pied avec la réalité, elle fait la connaissance d'un étudiant travaillant dans une galerie pour financer sa thèse. Celui-ci va lui proposer de découvrir, en plein coeur de Paris, une collection privée unique et insolite dont il est le gardien. Malgré le caractère impénétrable et mystérieux de cet inconnu et le malaise qu'elle ressent en sa présence, sa curiosité est la plus forte et elle le suit.

« La curiosité malgré tous ses attraits / Coûte souvent bien des regrets. »

En pénétrant dans ce lieu chargé d'interdits et de mystère, on sent que Zoé s'enfonce, littéralement et métaphoriquement dans ce musée intime. Les espaces intérieurs se métamorphosent, l'emprisonnant dans un jeu de miroirs où se reflètent ses pensées et son obsession qui la consume.

*
Le récit est bien mené, avec cependant quelques longueurs descriptives, mais on sent qu'Agathe Sanjuan maîtrise parfaitement son sujet. L'auteure est passionnante, elle nous transmet de nombreuses connaissances sur le monde de l'art et sur les techniques de l'estampe.

L'art me passionne. Je fréquente régulièrement les musées mais j'hésite souvent à franchir la porte d'une galerie, ne me sentant pas à ma place et ne souhaitant pas acquérir d'oeuvre d'art.
En collectionneuse avertie, Zoé nous invite à pénétrer dans ce milieu passionnant et fermé.
Elle nous guide dans tous ces lieux dédiés à sa passion, et on s'imprègne de ces ambiances feutrées, précieuses et calmes. Elle nous initie aux codes artistiques, nous délivre quelques clés de lecture pour comprendre le sens des oeuvres et on se passionne pour l'art ancien de l'estampe

Mais on découvre également la face cachée de ce monde, les acquéreurs préférant souvent garder l'anonymat. C'est donc aussi un voyage dans la solitude du collectionneur.
L'auteure, avec beaucoup de justesse, nous interroge sur le choix réfléchi avant d'acquérir une oeuvre, le plaisir d'en détenir, la frénésie d'achat d'art, le caractère privé et intime de ces possessions.

« Une fois chez elle, elle défit le paquet sur la table de la cuisine. À l'aide d'un couteau fin, elle fendit les morceaux de scotch qui maintenaient l'ensemble, dégagea les cartons de protection, et se retrouva face à la blancheur du papier. Elle eut l'impression de déshabiller quelqu'un, de violer son intimité, mais se dit qu'il s'agissait de sa propre intimité, de son choix, mis à distance, qu'elle dénudait. Elle caressa la feuille, effleurant du bout des doigts les parties encrées pour en sentir l'imperceptible relief. »

*
L'écriture, belle, poétique, sensorielle, incarne parfaitement l'atmosphère sobre et distinguée que veut créer l'auteure. Elle parvient ainsi à transmettre toutes les sensations, les émotions qui animent Zoé.

Dans la deuxième partie, le récit se transforme et la visite clandestine de ce cabinet privé, aussi fascinante qu'angoissante, devient une forme de voyage initiatique entre rêves et réalité. L'ensemble se déroule dans une ambiance plus sombre, plus troublante, jusqu'à devenir menaçante et pesante.

« L'ogre repu reposait, attendant sa prochaine victime, qui lui fournirait son lot d'histoires, d'images, de rêves et de fantasmes. »

Se nichant entre onirisme, fantastique et gothique, l'imaginaire se teinte alors de visions cauchemardesques rappelant l'univers de Jérôme Bosch.

*
Malgré quelques défauts de longueur, « La maison enchantée » est un bon premier roman dont l'ambiance mystérieuse émanant du dernier tiers du livre et l'originalité du thème m'ont séduite.
Dans ce livre, j'ai aimé les passages consacrés au monde de l'art, mais surtout les moments où le récit se vit comme un voyage initiatique et fantastique à travers les oeuvres, la collection privée et les rêves. Les obsessions, les angoisses personnelles les plus profondes s'y reflètent, laissant planer une impression d'étrangeté et d'inquiétude.
A découvrir.

*
Il ne me reste plus qu'à remercier chaleureusement Babelio, les éditions « Aux forges de Vulcain », sans oublier Agathe Sanjuan pour cet agréable moment de lecture et la découverte d'une jeune auteure prometteuse.
Commenter  J’apprécie          4334
La jeune fille aux estampes

Dans un premier roman étonnant, Agathe Sanjuan va nous entrainer dans le monde des estampes sur les pas d'une jeune fille qui après ses études, va en faire son obsession. Un parcours initiatique et onirique fascinant.

Zoé mène une existence assez paisible auprès de ses parents et de ses deux soeurs cadettes, des jumelles nées cinq ans après elle. Plutôt solitaire, elle est gardée par Jacob, un voisin assez excentrique mais qui, avant de mourir, va lui transmettre sa passion pour l'art, lui suggérant notamment d'aller jeter un oeil dur le Triptyque de Moulins durant ses vacances. Une expérience qui sera sans doute déterminante dans son choix d'aller étudier l'histoire de l'art à Paris. Des études qu'elle pourra poursuivre en toute autonomie en complétant ses cours par un travail de secrétariat au sein d'un cabinet d'avocats. Son Master en poche, elle choisira une autre voie que celle de ses collègues pour pouvoir conserver sa liberté, travailler dans la gestion et s'intéresser à l'art avec l'oeil de l'amateur éclairé. Après avoir laissé passer un dessin de Delacroix, elle achètera une gravure de Félicien Rops, une première oeuvre qui sera suivie de nombreuses autres. Rapidement, elle devient spécialiste des estampes, passant son temps à «fureter vers Drouot, aller voir les expositions précédant les ventes aux enchères, mais aussi rayonner vers les galeries qui se situaient entre les grands boulevards et, de l'autre côté de la Seine, les quartiers Saint-Germain et Saint-Michel. Elle prenait un vrai plaisir à ces visites et attendait impatiemment le soir pour parcourir la capitale, dans ces rendez-vous avec elle-même qui la comblaient. Quand un artiste l'intéressait, ses recherches étaient un prétexte pour revoir son portefeuille en galerie, sentir son univers à travers les feuilles à disposition. Elle se repaissait de l'ensemble en attendant, un jour, d'en élire une.» Elle va se lier d'amitié avec Lee et Gabriel, un couple de galeristes, qui va l'initier à la technique et croiser la route de Julien, un employé étonnant qui va lui faire découvrir un endroit extraordinaire, sorte de musée secret du Comte de Soleinne en plein coeur de la capitale.
Agathe Sanjuan fait de cette maison enchantée le coeur d'un roman qui se lit comme on suivrait une visite guidée dans un monde fabuleux où tous les sens sont en éveil, où les rêves se touchent du doigt. Un parcours initiatique et onirique qui nous permet littéralement d'entrer dans les oeuvres d'art. Un premier roman d'une maîtrise formelle étonnante, mais surtout un voyage à travers musée imaginaire qui est aussi une invitation à vivre l'art. Fascinant.

Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          291
« La beauté peut-elle sauver le monde ? »
Une maison réenchantée, entre le fantastique, la poésie picturale, les entrelacs d'estampes, voici une histoire empreinte de magie, de désirs et de passions.
Zoé, le point du centre d'un récit atypique et original, troublant parce qu'irréel et symbolique.
Zoé est une jeune femme manichéenne, secrète et dévouée à l'art. Elle pressent en elle cette force hors des courants ordinaires comme prédestinée à l'essence pure de l'art dans son summum. Elle cherche à fuir cette attirance qui l'envoûte avant l'heure, comptable lambda, conventionnelle et de mimétisme vêtue.
L'histoire riche de références artistiques est une ouverture ésotérique. le labyrinthe secret des mystères qui ne se dévoilent que pour les connaisseurs et les passionnés. Zoé se prend à collectionner les estampes. Devient asociale, effacée, une pièce chez elle, forêt cachée où les tableaux s'emmêlent et prononcent la voie pure. Sceau voilé à la face du monde, de ses amis à qui elle refuse l'accès. Elle pressent une addiction, une collection vitale et un enjeu terrifiant voire obsédant.
Ce premier roman qui dépasse largement ses grands frères est une déambulation parabolique, fil d'Ariane d'une estampe qui surprend par son magnétisme, son pouvoir subliminal et sa course trépidante.
Zoé est invitée secrètement dans une exposition privée. le sésame spéculatif, étrange et unique. D'une porte à une autre, elle pénètre le coeur même de l'art qui prend vie. Zoé est Alice au pays des Merveilles, la traversée du miroir, contre-chant et ésotérisme. « La maison enchantée » est un mystère qui se dévoile subrepticement. Un livre essentialiste où les sens font la courte-échelle. Labyrinthique, il ne se lit qu'en se laissant dériver sur cette fresque artistique de haute voltige. Magnétique, perfectionniste, il dévoile par une auteure érudite les émotions et les secrets enfouis. Ce roman d'Agathe Sanjuan est une estampe littéraire où le lecteur entend les murmures et où les ombres sont des sensations vivifiantes. Fascinant et lumineux. Publié par les majeures éditions Aux forges de Vulcain.
Commenter  J’apprécie          70
Jeune femme passionnée d'art, Agathe commence, dans le plus grand des secrets, une collection d'estampes. C'est son petit plaisir caché.
Un jour, elle découvre, par le biais d'un jeune homme rencontré dans une galerie, une collection privée unique au monde. Un endroit où l'art est sublimé, magnifié à un tel point que la passion dévorante d'Agathe dépasse alors la frontière de la réalité…

J'ai adoré ce plongeon dans le monde de l'Art. Tant matériel (les galeries, les antiquaires, les enchères) que sensoriel. Agathe aime toucher le papier, le sentir sous ses doigts. Quand elle ramène une estampe chez elle, on assiste à des scènes très intimes, silencieuses, empreintes de solennité où le Beau a toute sa place. La plume est tout aussi délicate.

Agathe est solitaire. A côté de sa passion et de sa poésie, il y a la réalité, terre à terre, qu'elle tient d'une main de fer. Je me suis beaucoup identifiée à elle, et elle m'a portée à ses côtés pendant la première partie du roman. La plume est à l'image de ce personnage : assez pauvre en dialogues (ce qui me va bien), oscillant entre magie et simplicité.

En revanche, le milieu du roman bascule avec la visite de cette collection unique. J'ai eu un mal fou à me la représenter dans mon esprit, comme un surplus d'images qui se mélangent. le roman bascule dans quelque chose de plus fantastique qui m'a alors moins plu, car je n'ai pas réussi à saisir ce qui se tramait, ni à sentir ce qui se mettait en place.

La rupture qui se crée alors dans le texte est assez radicale, et nous amène assez rapidement à la fin du récit qui m'a laissée complètement perdue, tant je n'ai pas compris ce qui se jouait là.

Alors je suis un peu perplexe; sans doute un texte qu'il faudra que je relise à l'occasion, tant j'ai eu l'impression d'être passée à côté sans savoir vraiment pourquoi ni quand.
Commenter  J’apprécie          60
C'est un premier roman original que signe Agathe Sanjuan, Aux Forges de Vulcain. Il faut le savoir, j'ai très peu d'affinités avec l'art pictural, et encore moins avec celui de l'estampe dont ma connaissance doit se limiter à la Vague d'Hokusai. Entrer dans « La maison enchantée » d'Agathe Sanjuan était donc un petit défi, histoire d'ajouter encore un peu à l'éclectisme de mes lectures. Grand bien m'en a pris.
Zoé est une passionnée d'art dont elle commence à étudier l'histoire à Paris. Etudes rapidement abandonnées car elle est persuadée que l'approche théorique, historique, que la décortication des oeuvres, des mouvements, des artistes finiront par tuer l'histoire d'amour qu'elle entretient avec l'art depuis son enfance. C'est en flânant dans les galeries parisiennes que Zoé développe un véritable amour pour l'art de l'estampe. Ses jours comme ses nuits sont habités par sa passion : en journée, elle cherche à agrandir la collection à laquelle elle a carrément dédié une pièce de son appartement, et la nuit, ses rêves emménagent dans ses oeuvres d'art. Et puis, un beau jour, ou peut-être une nuit, elle rencontre Julien qui lui propose de visiter la collection privée du Comte de Soleinne pour qui il travaille.
Commence alors une succession de chapitres absolument fabuleux, hypnotisants, enchanteurs. On découvre avec Zoé le musée privé de Soleinne comme Charlie visite la Chocolaterie de Wonka.
de salle en salle, on est envoûté. L'autrice a ce pouvoir de trouver les tournures qui feront de ses mots des images, des parfums, des textures, de véritables gourmandises pour l'esprit. On ne sait plus si tout cela est bien réel ou non, mais on n'a qu'une envie : visiter nous aussi, pour de vrai, cet immense appartement de Soleinne où l'art sous toutes ses formes s'offre à la fascination du visiteur dans un parcours atypique qui relève presque du merveilleux.
Puis arrive le cadeau aussi onéreux qu'onirique : la fameuse « Maison enchantée » qui donne son titre au roman, une lithographie de Besdin que Zoé reçoit en cadeau. le présent est précieux mais il semble dangereux et bouscule la vie de Zoé jusque dans ses songes. Si cette dernière partie, plus… chimérique, m'a paru un peu moins accrocheuse à mon goût, il n'en reste pas moins qu'elle confirme le talent de l'autrice. Et il en faut du talent pour choir les mots qui dessineront l'image, évoqueront l'odeur et feront naître l'admiration dans l'esprit du lecteur, sans description rébarbative ou pâmoison artistico-littéraire, malgré l'obsession de la protagoniste. Encore une fois, Aux Forges de Vulcain a déniché une autrice prometteuse dont le premier roman ensorcèle autant qu'il intrigue. Une vraie réussite.
Commenter  J’apprécie          20

Citations et extraits (4) Ajouter une citation
L’appartement était petit et le jeune homme pouvait en embrasser l’ensemble d’un seul coup d’œil : l’entrée donnant sur la salle de bain à gauche, et sur la cuisine en face, elle-même jouxtant la chambre. Les deux pièces principales étaient séparées par une large porte vitrée qui laissait apercevoir, dans l’emprise de la chambre, un local aveugle, blanc, neutre. Il demanda à Zoé à quoi lui servait cet endroit et la sentit se raidir. Elle éluda en répondant qu’il s’agissait de son cabinet. Elle avait laissé la petite clé sur sa table de chevet. Pour plaisanter, il suggéra qu’elle devait enterrer là ses amants médiocres ou désobéissants, ceux qui ne lui avaient pas donné satisfaction. Devant ses allusions, voyant l’affaire avancer, Zoé s’éclipsa dans la salle de bain, le laissant seul.
Le garçon se saisit de la clé, si pressé par la curiosité que, sans considérer que cela était malhonnête, devant la porte du cabinet, il s’arrêta quelque temps, songeant à la défense que Zoé lui avait signifiée et pensant qu’il pourrait lui arriver malheur d’avoir été désobéissant. Mais la tentation était si forte qu’il ne put la surmonter : il prit donc la petite clé et ouvrit la porte du cabinet.
D’abord il ne vit rien, parce que la pièce était aveugle ; après quelques moments, il commença à voir que le plancher était jonché de feuilles de papier froissées, et qu’à cette curieuse litière répondaient les dépouilles de plusieurs cadres vides suspendus aux murs.
Stupéfait par cette vision étrange, il referma la porte et trouva les yeux furieux de Zoé.
Elle le pria de quitter son appartement, avec calme mais agitée par une colère intérieure. Il jeta un dernier regard au rectangle blanc de la porte, d’une présence désormais obsédante, qui avait brusquement agi comme un écran entre Zoé et son invité.
Alors qu’il se tenait dans le cadre de la porte d’entrée, une morale, tirée d’un vieux conte, revint à Zoé. Elle la lui livra :
« La curiosité malgré tous ses attraits / Coûte souvent bien des regrets. »
Elle referma la porte, décidée qu’on ne l’y prendrait plus.
Commenter  J’apprécie          134
« Zoé organisa son quotidien autour de son travail et de sa nouvelle occupation.
Sa vie privée commençait une fois passées les portes de l'immeuble haussmannien siège du cabinet où elle travaillait, du côté de la Bourse. L'emplacement était idéal pour fureter vers Drouot, aller voir les expositions précédant les ventes aux enchères, mais aussi rayonner vers les galeries qui se situaient entre les grands boulevards et, de l’autre côté de la Seine, les quartiers Saint-Germain et Saint-Michel. Elle prenait un vrai plaisir à ces visites et attendait impatiemment le soir pour parcourir la capitale, dans ces rendez-vous avec elle-même qui la comblaient. Quand un artiste l’intéressait, ses recherches étaient un prétexte pour revoir son portefeuille en galerie, sentir son univers à travers les feuilles à disposition. Elle se repaissait de l’ensemble en attendant, un jour, d'en élire une.
Le week-end était davantage consacré à des voyages pour visiter des lieux de vente inconnus d'elle ou des foires, des salons.
Commenter  J’apprécie          150
(Les premières pages du livre)
Tard dans la nuit, Zoé marchait, la cheville souple, le soulier claquant sur la chaussée. Le pied était couvert d’un escarpin presque fermé, tenu par des lanières recouvrant la cambrure, épousant la finesse des attaches, ajusté tel un chausson de danseuse. La silhouette fluide du tailleur en tissu de crêpe suivait le rythme imprimé par le pas, transmis au corps. L’allant de la démarche, trop rapide pour être naturel, scandait le silence avec vigueur. Elle filait droit devant elle. L’heure était trop avancée pour que quiconque surprît et perturbât ce chemine¬ment régulier. Elle le savait et avançait, sûre de sa puissance, de son règne sur cette partie du monde endormi. Seuls quelques insomniaques pourraient l’apercevoir, jetant un coup d’œil derrière le rideau de leurs chambres sans sommeil. La constance du pas leur donnerait envie de compter les accents de cette pulsation. Une femme en phase avec le battement de cette ville, se diraient-ils : déterminée et impatiente.
Elle entra dans la cage d’escalier, sortit ses clés de sa serviette de cuir vert, la posa par terre pour ouvrir la boîte aux lettres, vida les prospectus dans la corbeille mise à disposition des habitants de l’im¬meuble, et, quand elle se redressa, glissa une facture dans sa serviette. Raide et droite, elle prit l’escalier. Elle sentit son corps s’affaisser à partir du troisième étage, se relâcher sous l’effort, son cou ployer et sa tête se vider, se délester d’une journée de travail, d’une concentration inutile et idiote, de chiffres s’alignant, se croisant, se combinant. L’allure gagna en tendresse et en grâce ce qu’elle perdait en vitalité. Quand elle eut atteint le palier du quatrième, il ne restait presque rien de la silhouette énergique qui donnait son âme à la ville, semblable à tant d’autres, incarnant l’esprit de travail, de modernité, de célé¬rité, d’accélération exponentielle. Un bruit retentit, un peu plus haut, dans la cage d’escalier, laissant entendre, peut-être, un autre pas. Elle eut le réflexe de se redresser, de gainer à nouveau son buste fati¬gué, avant d’ouvrir la porte de son appartement et de laisser sa bogue de tension sur le palier.
Une fois chez elle, Zoé se débarrassa de ses atours de femme pressée, dénouant ses chaussures, faisant glisser à ses pieds et sur ses hanches l’étoffe soyeuse et glissante. La silhouette nerveuse s’alan¬guit, se détendit dans la chaleur de l’appartement. La mollesse des chairs, la délicatesse des courbes lui apparurent fugitivement dans le miroir, tandis qu’elle s’adonnait aux préliminaires. Elle emplit une bassine d’eau chaude, fit tomber quelques cuillers de sels et d’huiles odorantes, y introduisit ses pieds, les orteils d’abord, doucement, pour les habituer à la chaleur, puis la plante et enfin la totalité. La brûlure la saisit, circulant sur l’épiderme rougi, paralysant les muscles, mais, peu à peu, les tissus, les articu-lations se détendirent et elle put à nouveau remuer les orteils. Les effluves, l’humidité de l’étuve la pénétrèrent. Rien ne l’aidait mieux à se débarrasser des tracas et des déceptions du jour. Elle retrouvait alors les odeurs de l’enfance, le délassement du bain hebdomadaire du dimanche, enfin seule, dans la salle d’eau, isolée du reste de la famille, une réclu¬sion rare et désirée, et ce sentiment étrange d’ou¬blier son corps dans une torpeur éveillée, d’atteindre l’inactivité cérébrale avec l’unique perception, apai¬sante, d’être en vie.
L’eau brûlante calmait son impatience, anesthé¬siait sa pensée. Mais le bain tiédissait et, par vagues, elle reprenait conscience de ce qui l’entourait, de ce qu’elle devait faire. Elle glissa ses pieds hors de l’eau, les frictionna vigoureusement et enfila un peignoir.
Elle saisit le large carton à dessins, l’allongea sur la table de la cuisine, fit glisser les lanières en déga¬geant les boucles d’un coup sec et ouvrit le plat supé¬rieur. Elle caressa la toile protectrice qui masquait encore le contenu, un peu rêche, crissant sous la main, puis, brusquement, l’écarta pour laisser appa¬raître le ventre blanc du papier. Elle éprouva une intense satisfaction en redécouvrant cette nappe immaculée. Les chemises superposées ne laissaient rien deviner de l’intériorité secrète de cette peau fine et étanche dont elle frôlait l’arête avec la paume de la main. Elle s’arrêta un moment, émue par la perfec¬tion de cet empilement, puis fit glisser la première enveloppe sur le plat gauche pour en écarter les deux pans. L’image lui sauta au visage, il ne lui fallut qu’un instant pour en percevoir le sens, avant de se laisser doucement envahir par les méandres de ses propositions. Ce moment proprement voluptueux lui procurait toujours un intense plaisir, un étonne-ment renouvelé malgré la répétition. L’observation dura quelques secondes, puis elle referma délicate¬ment la chemise, superposa la seconde et se livra à la même opération.
Elle n’avait pas besoin de s’attarder plus que cela et n’éprouvait pas la nécessité de rester de longues minutes absorbée devant une œuvre. L’émotion qu’elle ressentait à la vue d’une image tenait à la brutalité de la découverte et à l’activation de souve¬nirs profonds, anciens, oubliés. Comme en rêve, les serrures s’ouvraient, libérant des flux de sensations qui la faisaient accéder aux recoins de son intimité. Exhumée du fond de sa solitude, son ouverture au monde des représentations la transportait. Seule, chez elle, elle se livrait à des expériences de voyage, de rencontres, de dangers excitants, de joies oubliées.
Image après image, au cours de ces explorations, elle goûtait la découverte, la reconnaissance, le souvenir des lectures précédentes, le décèlement de nouvelles propositions que lui suggéraient ces feuilles imprimées d’un autre temps. La surprise se déclinait selon son humeur, l’attention qu’elle réser¬vait à ce moment, tantôt latente, tantôt concentrée, et surtout, selon l’ordre d’apparition des feuilles dans ce rituel de manipulation. Car la combinaison était différente à chaque dévoilement. Après la séance, avant de renfermer les images dans leur armure, elle prenait soin de mélanger les chemises selon un rangement aléatoire qui préparait son plaisir futur, de nouvelles associations, un sens de lecture inédit. Le hasard des combinaisons faisait surgir des histoires, des liens, des chocs, qu’elle déchiffrait avec l’allégresse du virtuose face à une nouvelle partition.
Après avoir exploré l’ensemble et construit un nouveau récit dans ce quart d’heure onirique, elle rebattit les cartes de son histoire, serra les liens du carton à dessins et le rangea soigneusement dans le porte-cartons. Elle se glissa entre les draps blancs et se laissa envahir par la torpeur d’un songe amorcé dans les fibres et les encres.

Quelques années plus tôt, à dix-huit ans, Zoé avait pris le train, son bac en poche, pour rejoindre Paris depuis Rouen. Elle n’avait cessé de regarder par la fenêtre opposée du carré où elle était assise. La voiture était quasiment vide, aussi avait-elle toute latitude pour observer le paysage dans ce morceau de verre. Il lui importait d’inscrire la campagne, les forêts et les villes moyennes qui défilaient sous ses yeux, non pas dans la transparence irréelle d’un voyage sans entrave, tels qu’ils apparaissaient de son côté de la rame, se déroulant à la manière d’un long ruban, quand elle appuyait sa tête contre le carreau, mais dans les limites des montants de la vitre du train : cadrer le paysage lui permettait de maîtriser son appréhension. Elle connaissait Paris pour y être allée plusieurs fois avec sa famille, en week-end, mais s’y installer pour poursuivre des études était autre chose.
Commenter  J’apprécie          10
La curiosité, malgré tous ses attraits
Coûte souvent bien des regrets.
(Reprise d'une citation de Charles Perrault dans Barbe bleue)
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Agathe Sanjuan (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Agathe Sanjuan
{Conférence autour des expositions de l'année Molière} Molière a-t-il écrit de grands rôles de femmes? L'implicite de cette question : Molière était-il misogyne, à l'instar de son temps, de ses contemporains, de son siècle ? Suggérons simplement qu'il est pétri de contradictions, comme tout un chacun, mais que son génie lui a permis d'échapper aux caricatures ou de les dépasser. Cette séance accompagne les expositions de la BnF et de la Comédie-Française commémorant le 400e anniversaire de la naissance de Molière. Avec Anne Kessler et Suzanne Aubert, comédiennes, et Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française. Conférence animée par Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle de la BnF, et enregistrée le 1er décembre 2022 à la BnF I Richelieu.
+ Lire la suite
autres livres classés : estampeVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (95) Voir plus



Quiz Voir plus

Albert Camus

Albert Camus est né le 7 novembre 1913 à Mondovi (Algérie). Quel était le métier de son père ?

Professeur de philosophie
Ouvrier caviste dans une exploitation vinicole
Instituteur au lycée d'Alger
Ouvrier agricole dans une exploitation agricole

30 questions
76 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature française , 20ème siècle , dramaturgieCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..