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Critique de Arimbo


Arimbo
12 décembre 2021
Mais, tu n'es pas le Bon Dieu
Toi tu es beaucoup mieux
Tu es un Homme….. »
Jacques Brel (Le Bon Dieu)

Le premier roman que je lis de José Saramago.
Un auteur dont je savais qu'il était un « grand », aux prises de positions politiques parfois controversées, mais quand même, Prix Nobel de Littérature, excusez du peu, malgré tout le mal qu'on a pu dire du jury de ce Prix.

Voilà un roman qui sort de l'ordinaire et qui, derrière l'ironie et l'humour, nous livre une réflexion profonde sur les religions monothéistes, ainsi que sur les relations entre l'être humain et le Dieu qu'il est sensé adorer.

Voilà une vie du Christ racontée en développant beaucoup plus son enfance que dans les Évangiles chrétiens, et dont le récit s'arrête à la crucifixion, car ici, et cela fait sens, pas de résurrection, d'apparition aux disciples, d'ascension au ciel.

L'auteur tisse, avec ironie, humour, tendresse et cruauté, mais aussi une grande profondeur philosophique, un tout autre récit, certes reconstruit à partir de la trame des Évangiles, mais dont le sens est totalement différent.

Ainsi le père de Jésus, un charpentier nommé Joseph, va laisser faire le «massacre des Innocents », l'exécution dans la ville de Bethléem, sur l'ordre du roi Hérode de tous les bébés de moins de trois mois parmi lesquels figurerait un futur roi. Joseph fera cela pour préserver son fils qui vient de naître dans une grotte proche de la ville. Mais il vivra avec un insupportable sentiment de culpabilité, et sera poursuivi toute sa vie d'un cauchemar récurrent.

Ainsi, certains des événements que nous avons appris au catéchisme quand nous étions enfants sont cités, parfois sans beaucoup de modifications (Noces de Cana) mais le plus souvent avec une vision détournée (les pêches miraculeuses dans le lac de Tibériade par exemple) voire à l'opposé de ce que nous disent les Évangiles « officiels » (la mort de Lazare).

De tous les protagonistes de l'histoire, Dieu apparaît comme le plus impitoyable, cruel avec les humains, ayant choisi de faire de Jésus son fils pour étendre son pouvoir à toute l'humanité et non plus seulement au peuple juif. Son dialogue avec Jésus en présence du Diable au milieu du lac de Tibériade (une merveille!) nous montre son dessein, sa volonté de soumettre les humains en mettant en avant leur culpabilité, la nécessité pour eux de se repentir de leurs péchés, et aussi, que l'extension de son emprise sur le monde se fera au prix de grandes souffrances pour les humains.

Le Diable, que l'auteur nous décrit de façon ambiguë (est-il ange ou démon ?) se révèle en fin de compte le plus proche des hommes. C'est lui avec lequel, sans savoir qui il est, Jésus fera son apprentissage de berger, et fera preuve de compassion à son égard, c'est lui aussi qui demandera, sans succès d'ailleurs, à Dieu de lui pardonner.

Et Jésus dans cette histoire? Sa vie humaine, son chemin de vie, Saramago nous le montre, c'est celui d'un homme, qui, on pourrait dire, pour son malheur, va découvrir qu'il est celui qui a été choisi par Dieu, et même être son Fils. Et qui va essayer jusqu'au bout de comprendre de questionner cette destinée, et à la fin d'y échapper, en vain.

C'est ce parcours qui nous est décrit avec tant d'ironie, et tant d'humanité, depuis celui d'un enfant que sa mère Marie aura beaucoup de difficultés à comprendre, d'un adolescent accablé par le destin tragique de son père Joseph, et qui ira chercher des réponses en quittant sa famille et en se rendant à Jérusalem, qui deviendra berger au coté d'un Pasteur qui se révèlera être le Diable, qui connaîtra l'amour et la tendresse de Marie de Magdala, une prostituée qui changera de vie pour l'accompagner, et qui sera aussi sa conseillère pleine de perspicacité, et sa confidente. Et puis, il y aura toutes les belles rencontres humaines de Jésus, ces apôtres pêcheurs avec qui il travaillera, et puis Marthe la soeur de Marie de Magdala, et Lazare, et tous les miracles que Jésus accomplit sans le vouloir, en raison de sa compassion pour celles et ceux qui souffrent. Et enfin, un Jésus qui précipitera son supplice en se proclamant Roi des Juifs, et fils de l'Homme et non pas Fils de Dieu. Mais Dieu le rattrapera à la fin, en apparaissant dans le ciel pour le proclamer son Fils, et, Jésus comprenant qu'il a été leurré toute sa vie par Dieu, criera avant de mourir : « Hommes, pardonnez lui, car il ne sait pas ce qu'il fait », une inversion terrible de la phrase des Évangiles.

En toile de fond de ce roman, il y a pour moi un plaidoyer pour les humains que je partage, pour l'amour et la solidarité entre les humains, et un rejet du sentiment de culpabilité, de la notion de faute de l'Homme, du péché qui serait sa marque de fabrique. Et un rejet d'un Dieu tout puissant, sans âme et qui punit. Cette absence d'amour divin pour l'humanité, ça n'a pas plu aux catholiques portugais, surtout à la hiérarchie catholique, on le comprend, et on comprend que Saramago ait choisi de s'exiler aux Îles Canaries. Mais au moins, il n'y a pas eu de Fatwa contre lui.

Et tout cela est raconté avec tant de verve, avec ce style si particulier de Saramago, ces longues phrases rythmées seulement par des points et des virgules, ces discours qui se superposent, cette sorte de polyphonie des voix, y compris celle du narrateur qui intervient parfois. Mais ce n'est pas le chaos, au contraire cette écriture quasi-contrapuntique est sinueuse et fluide, et contrairement à d'autres lectrices ou lecteurs, j'ai beaucoup apprécié.
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