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Un jeune historien, specialiste des systemes “industrialises" des camps d'extermination nazis, gagne son pain en servant de guide en ces camps a des groupes de lyceens et des delegations de parlementaires et de soldats israeliens. Il met toute son ame dans ce devoir de memoire, mais justement cette implication immoderee et surtout les reactions qu'il recoit vont le miner peu a peu jusqu'a ce que, perdant la tete, il explose. le “devoir de memoire" est devenu pour lui un monstre, le “monstre de la memoire", qui finit par le terrasser.


Le livre, par la bouche du guide, detaille l'organisation des camps, de chaque camp avec ses differences, en des pages d'une secheresse informative hallucinante, qui provoquent le lecteur, qui le font s'identifier et avec les bourreaux et avec les victimes et avec ces historiens qui s'engouffrent et le noient dans les details, des pages qui deviennent vite effarantes pour le lecteur, monstrueuses, pour le lecteur aussi une espece de monstre de la memoire.


Et insidieusement s'infiltre dans la lecture un deuxieme monstre, l'ombre du premier. Car avec ce petit opus Sarid entre de plein pied dans la polemique qui sevit en Israel autour des “pelerinages" de lyceens (ainsi que de jeunes soldats) a Auschwitz.

Tout d'abord, est-ce qu'on ne risque pas de faire de la Shoa et de son souvenir un des elements de base de l'identite israelienne? Une victimisation peut-elle etre porteuse d'avenir?

Et de fait, que retirent ces jeunes de ce voyage? Quelle morale, quel enseignement (quand ils ne se contentent pas de s'initier a la vodka)? La plupart reviennent avec une formule magique: “Jamais plus!” Jamais plus quoi? Que jamais plus un genocide de ce genre ne puisse etre perpetre, nulle part en ce monde, sur aucune population que ce soit, ou uniquement que jamais plus les juifs ne soient aussi demunis et faibles et que pour cela les israeliens se doivent d'etre forts et armes jusqu'aux dents? Beaucoup ne reviennent, apres avoir brandi leurs drapeaux en Pologne, qu'avec cette derniere conclusion. Alarmante conclusion pour Sarid qui met ses peurs, ses cauchemars, dans la bouche d'un jeune: “Je pense que, pour survivre, nous devons, nous aussi, etre un peu des nazis” (Sarid, homme de gauche, est le fils d'un des plus fervents ouvriers pour une paix possible et juste en Israel-Palestine, le regrette Yossi Sarid). Est-ce que le devoir de souvenir, par la pratique de ces voyages, ne risque pas de devenir une manufacture de fanatisme, de culte a la force, ou pire, a la brutalite, ou encore pire, a la haine? Sarid en tous cas le craint, quand il fait dire a son pauvre heros “en fait, cela m'a pris des annees pour comprendre que la haine poussait dans les lieux de haine”.


En arriere plan, Sarid s'eleve contre toute instrumentalisation de la Shoah et des crimes nazis, que ce soit de la part d'israeliens pour couvrir une politique criticable, de la part d'europeens qui se parent de beaux discours et de belles commemorations pour cacher leur inaction, leur torpeur face au reveil d'un antisemitisme sournois, ou, comme nous avons pu le voir dernierement, de la part d'un dictateur pour justifier son agression armee d'un pays voisin.


Ce livre reste un roman, pas un pamphlet. Un roman d'une ecriture directe, precise, qui justement rend sa lecture aigre-douce, d'une acidite un peu incommodante. Et c'est peut-etre sa force. Comme les medications d'antan, dont l'efficacite se mesurait souvent a leur degre d'acrete, a la difficulte de les ingurgiter. Ce livre peut causer un certain malaise? Parfait! C'est comme ca qu'on traite un mal plus inquietant.
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Être juif et guide, des camps de concentration polonais n'est pas un petit travail tranquille.

Dans une longue lettre au directeur de Yad Vachem - le mémorial de la Shoah à Jérusalem-  qui est son employeur,  le narrateur, historien patenté,  spécialiste de la Shoah, et guide exclusif des groupes israéliens envoyés visiter Chelmno, Treblinka, Belzec, Majdanek, Sobibor ou Auschwitz -Birkenau , se plaint amèrement de ses conditions de travail....

Sa missive  peut passer, au début, pour  une satire grinçante , une fable cynique.

Le guide touristique de la Solution finale, il fallait l'oser !

 Ainsi, chaque camp  pour notre guide, a ses propriétés intrinsèques, son individualité,  sa spécialité : Chelmno,  c'est le "cynisme de sa fourberie", Auschwitz , "la corrélation de deux desseins, l'un meurtrier, et l'autre économique", Treblinka, "un lieu dédié,  sur une échelle gigantesque, à l'asphyxie, la crémation de chair humaine", Sobibor est à la fois " lisière de l'Europe, bout du monde, (...) , fin de l'humanité ", Belzec,  le "summum de l'efficacité 'tandis que  Majdanek demeure l'"incarnation de l'essence même du fascisme".

Le guide-narrateur est inépuisable, intarissable, sa science en la matière est sans limite, exhaustive,  il se montre dans ses explications d'un pointillisme si exigeant qu'il en paraît lui-même dénué d'affects.

Le dévouement qu'il met à accomplir sa tâche est presque une dévotion: il laisse en Israël un petit garçon et une jeune femme qui se languissent de lui, en oublie son confort, son apparence, se clochardise peu à peu au point de ressembler à ces vieux chiffonniers  juifs du ghetto dont il tente de faire revivre le souvenir auprès de ses visiteurs.

C'est qu'il a affaire à forte partie.

La mémoire est si monstrueusement oublieuse, si perfidement manipulatrice, si scandaleusement négationniste.

Le  monstre qui a édifié , un jour,  ces enfers concentrationnaires, est toujours là, tapi dans cet oubli, ces altérations, ces dénis. Et le monstre qui hante la sienne , de mémoire, est toujours si violemment vivant.  

Il faut toujours dire, redire, expliquer, corriger. Au risque de se perdre. de devenir fou.

En face de lui, des ados gâtés, sans culture, qui chantent et dansent sur le sol martyre de Sobibor,  sur la cendre de Belzec, sur les charniers de Birkenau et qui, entre eux, osent dire que c'est ainsi, chez eux, qu'ils devraient traiter les Arabes, que ce ne sont pas eux, les sépharades et les sabras, qui auraient laissé leurs femmes et leurs enfants aller à l'abattoir comme ces lopettes d'ashkénazes...

Il est inlassable, le guide, il essaie de leur expliquer, à ces petits monstres sans mémoire.  En vain. Ils sont si jeunes...comment leur en vouloir?

Pourtant les adultes, eux aussi, s'y mettent. Et requièrent le savoir de notre pauvre  guide pour...parfaire la crédibilité d'un futur jeu vidéo !  Ils sont si vides, comment leur en vouloir?

Quand ce n'est pas pire encore: si l'antisémitisme endémique des Polonais est une réalité -mais quelques pogroms ne sont ils pas un jeu d'enfants au regard de la monstrueuse Solution finale?- notre guide est persuadé que c'est un arbre qui cache la forêt et que, à l'abri, résiste un monstre froid, toujours bien vivant et qu'on semble négliger : l'esprit de destruction méthodique et industrialisé d'une Allemagne que  L' Histoire semble avoir une fois pour toutes exonérée de ses fautes.
"(...) comparer la responsabilité des Polonais à celle des Allemands était une terrible déformation de l’Histoire, (...) Pourquoi avez-vous tant de mal à haïr les Allemands ? Moi, c’est cette question qui m’intéresse" objecte le guide-narrateur à un de ses visiteurs.


Au bout de cette longue lettre- et ce court roman- qui raconte son chemin de croix, si j'ose dire, notre guide va rencontrer un dernier monstre. Et lui régler son compte.

Un livre extraordinaire,  tout en tension,  en subtilité,  qui passe d'une ironie amère à un constat poignant,  et pose, courageusement,  les bonnes questions, face à ce devoir de mémoire de plus en plus difficile à accomplir face à une jeunesse amnésique, face à  une époque cynique, consumériste.  Et barbare.

Merveilleusement écrit, le Monstre de la Mémoire est un chef d'oeuvre à porter au crédit de cette jeune littérature israélienne que je continue de découvrir et qui ne cesse de m'étonner par ses qualités critiques, son sens de la dérision et sa vision pertinente et dérangeante des réalités contemporaines.

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Je n'écrirai pas un trop long commentaire à propos de ce livre.

Je pense qu'il faut le lire.
L'auteur conte le récit—— sous forme de lettre adressée au Directeur de Yad Vashem : l'institut international pour la mémoire de la Shoah —— situé à Jérusalem pour lui confier son ressenti en tant que «  guide des camps de la mort » face à des adolescents peu intéressés et indifférents .

Cette expérience même s'il cherche constamment à rester digne, informatif et intéressant change profondément son regard , face au monde et aux autres.

Il exprime son profond désarroi , face au difficile devoir de mémoire et surtout de l'ambivalence de son rôle entre extrême sensibilité et rigueur scientifique .
Plus l'historien se livre, plus le ton se tend , on y sent une rage sourde, l'impossibilité de simplement raconter , de rester neutre face à la banalisation de l'horreur.
Chaque jour il «  vit » les camps .
Que faut- il transmettre?
Comment?
Qui est réellement légitime?
Cette fréquentation intime et quotidienne des camps des processus d'extermination nazis , Yashiv Sarid a l'incroyable capacité de nous faire entendre que rien ne le touche: sentiment d'impuissance et solitude mêlés.

: «  Un zeste de froideur et un certain manque d'empathie de ma part envers les victimes » écrit- il que alors que l'accumulation commence à lui peser.
Dans un premier temps il pensait être à distance ,rester neutre , d'une neutralité toute universitaire mais il n'y arrivait plus: il était le réceptacle de cette Histoire: «  ces voyages de la mémoire ». ...

Tant de questions essentielles , non abouties, bousculent le lecteur .
Quelles leçons apprendre d'un tel passé ?
Merveilleusement écrit, lu d'une traite ou presque ce livre court, implacable , saisissant , puissant , à l'ironie dérisoire pétri de qualités indéniables nous oblige à réfléchir à la mise en scène de la Mémoire : Treblinka, Belzec, Chelmno, Sobibor, Auschwitz , Birkenau —-et j'en oublie— visions brutales, absurdes, cauchemardesques d'une —-Époque Vouée à ces horreurs —-et à l'impossibilité presque naturelle de les transmettre .
«  Chaque tonte prenait quelques secondes, puis les femmes nues étaient à nouveau poussées le long du chemin qui menait aux chambres à gaz.
Les jeunes filles qui m'écoutaient avec leurs belles chevelures bien épaisses , saines, brillantes, en étaient frappées de stupeur . Je me taisais une seconde. J'avoue que je dois avoir l'esprit bien tordu pour être à ce point passionné par de telles horreurs . » .

Un ouvrage qui prend aux tripes ...
Traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz.
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🖤 C'est cet oiseau qui a attiré mon oeil curieux, ce corbeau qui regarde étrangement, j'ai suivi son regard et le mien a glissé sur ce titre ... « le monstre de la mémoire ».

🖤 La mémoire est-elle un monstre englué à l'âme, qui picore nos souvenirs, rapace prédateur et malin ? Il semblerait que oui...

🖤 Yishai Sarid raconte l'histoire d'un historien israélien devenu spécialiste de la Shoah. Sous forme d'une lettre, il s'adresse au Directeur de Yad Vashem (l'institut international pour la mémoire de la Shoah à Jérusalem) pour lui confier son ressenti en tant que guide des camps de la mort face à des adolescents non concernés, pas intéressés, indifférents et son désarroi face au difficile devoir de mémoire, mais aussi l'ambivalence de son rôle, entre rigueur scientifique et sensibilité humaine.

🖤 Plus l'historien se livre et plus le ton se tend, on sent l'impossibilité de rester neutre et de simplement raconter ; chaque jour lors de ses visites, il vit les camps, il en dit trop (mais en dit-on jamais trop sur ce drame ?), il se laisse submerger par la rage humaine, il se révolte face à ces ados qui n'en ont rien à faire, face à ces partenariats ridicules qui ont pour seul objectif l'étude des camps pour en faire le décor d'un jeu vidéo ... un jeu vidéo...

🖤 « C'est ici que l'illusion appelée Homme s'est achevée. Regardez-vous, regardez vos amis, vous êtes quoi ? Un tas de viande. Vous avez déjà fait cuire du boeuf, n'est-ce pas, vous avez vu les tendons, les vaisseaux sanguins et les tissus ? Eh bien, c'est ce que vous êtes. Et s'il y a en vous quelque chose à part les tripes, c'est de la concupiscence et de bas instincts, de la vermine boursoufflée d'aspirations, si bien que la spéculation pourra exploiter vos élans bestiaux jusqu'à la dernière goutte. Votre existence est une plaie ouverte sur cette terre. »

🖤 Ce roman est bouleversant, dur et touchant, mais il est essentiel car plus que jamais le devoir de mémoire est nécessaire, il faut transmettre mais encore faut-il trouver un réceptacle à cette voix qui ne doit jamais s'éteindre, et surtout il faut éviter de banaliser l'horreur qu'a été la Shoah en en faisant l'objet d'un vulgaire voyage d'histoire pour ados.
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Les historiens disent «travail de mémoire», les médias «devoir de mémoire», les faits et l'affect. Au milieu, il y a les réactions brutales, surpenantes de ceux qui se heurtent aux souvenirs...
C'est ce qui transparait dans «Le monstre de la mémoire». Une lettre qu'un jeune historien adresse au directeur de Yad Vashem (Institut international pour la mémoire de la Shoah) . Il y retrace son parcours de spécialiste des processus d'extermination nazis, de guide scolaire pours jeunes Israéliens et de père de famille désabusé. Il y retrace aussi ses doutes, ses interrogations sur notre époque lorsqu'il entend les violents commentaires d'adolescents toujours connectés, lorsqu'il voit la superficialité des officiels, lorsqu'il retrace pragmatiquement le pire de la nature humaine... Que faut-il transmettre? Comment faut-il transmettre? Qui est réellement légitime? Quelles leçons doit nous apprendre le passé? Quel futur la mémo construit-elle? de quoi aurions-nous été capables? de quoi serons-nous capables? Tant de questions bousculent le lecteur et font de ce roman un moment de lecture pas comme les autres. Roman d'autant plus spécial pour moi que c'est la première fois que je lis un auteur israélien et que je suis fortement impressionnée par le potentiel «politique» de ce texte.
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Thésard en histoire contemporaine, le narrateur accepte à contrecoeur un poste au mémorial Yad Vashem dédié aux victimes de la Shoah. Son rôle sera de faire visiter les lieux d'extermination à des étudiants et des militaires de Tsahal. Il se documente méticuleusement à l'écrit et va interroger des rescapés. Très vite, le « monstre de la mémoire » se dessine : « La majorité des rescapés était de santé fragile et ne pouvait supporter un tel périple. Une partie souffrait de troubles cognitifs et de perte de mémoire à divers degrés, d'autres, pour des raisons évidentes, craignaient de ne pas supporter le choc et ne voulaient pas retourner là-bas. Je soupçonnais aussi quelques-uns d'avoir été des kapos ou des collabos, ce dont ils s'étaient cachés leur vie durant, pourquoi ouvrir une plaie alors qu'ils avaient un pied dans la tombe ? » (p 26). Sur place les jeunes et les appelés — sains, positifs, supérieurs dans leur image au présent polonais et au passé des vaincus — ces israéliens bien vivants ne peuvent concevoir le rapport des forces des années noires : « Les effectifs qui veillaient au bon fonctionnement de l'extermination à Treblinka se chiffrent à trente Allemands (y compris ceux qui étaient en congé), 150 ukrainiens et 600 juifs, voilà ce que j'expliquais toujours à mes groupes — c'était le même ordre de grandeur dans tous les camps d'extermination — et j'attendais l'expression stupéfaite qui se peignait immanquablement sur leur visage » (p 54). Alors ces jeunes qui admirent secrètement l'efficacité allemande réagissent par le déni, ou le communautarisme (c'étaient des ashkénazes), ou la déviance (c'est ce qu'on devrait faire aux Arabes ou encore : mort aux gauchistes), et le narrateur doit les ramener aux questions fondamentales : qu'auriez-vous fait devant la peur paralysante, l'annihilation de la volonté, l'instinct de survie ? et les jeunes refusent le débat. La situation empire quand l'armée veut organiser un évènement : « Embarquer dans des hélicoptères une unité de Tsahal composé de soldats venus de différents corps d'armée, la faire atterrir sur zone et, une fois qu'elle aura conquis le site, commencer la cérémonie par le discours, puis viendront les chants et les programmes artistiques » (p 95). Une telle initiative a-t-elle existé ? le livre est court, d'une traite, sans découpe en chapitres, parfaitement écrit dans sa précision saisissante et sa nudité psychologique. Il laisse le lecteur dans un profond malaise.

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Un historien israélien devient spécialiste de la Shoah et le guide le plus réputé des camps de concentration. A travers une longue lettre adressée au directeur du mémorial de Yad Vashem, il nous fait part de ses difficultés à transmettre l'indicible, à répéter l'horreur chaque jour, jusqu'à la faute qu'il a commise.
Un roman choc, dur, mais tellement intelligent et important. Il nous fait réfléchir sur l'importance de la transmission de la mémoire dans la dignité et sur l'impact psychologique que cela peut engendrer pour les personnes vivant dans les horreurs du passé quotidiennement.
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Le monstre de la mémoire est un étrange voyage entre Israël et la Pologne, éducation et mémoire, représentation et instrumentalisation. Ce livre se présente sous la forme d'une longue lettre ininterrompue où un doctorant israélien s'adresse au président de Yad Vashem, l'institut international pour la mémoire de la Shoah.

Dans une sorte de confession cathartique, le narrateur raconte comment il en est venu, allant à l'encontre de ses désirs, à étudier le processus d'extermination des Juifs mis en place par les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale ; bientôt considéré comme un expert du sujet, le voilà nommé guide attitré des voyages organisés en Pologne pour les classes de jeunes lycéens israéliens, dont il abhorre l'ignorance et la haine sous-jacente qu'il voit naître en eux.

Les voyages et visites des camps s'enchaînent, les "survivants" que le guide s'acharne à dénicher se font de plus en plus rare, et notre doctorant plonge inexorablement dans les abîmes de la mémoire et des questions inexprimables qu'elle suscite : pourquoi tant de passivité dans les camps, pourquoi si peu de haine pour les Allemands et tant pour les Polonais, pourquoi un racisme patent des jeunes israéliens enveloppés de leurs drapeaux bleus et blancs pour les Ashkénazes ? Et surtout, qu'aurait-il et qu'auraient-ils fait s'ils avaient été à leur place ?

Perdant toute foi en l'humanité et en l'humain, qu'il considère comme foncièrement violent, le narrateur illustre à travers ses élèves et les officiels auxquels il fait visiter les camps que la leçon retenue ne semble pas la bonne, puisque tous s'empressent de reproduire les mêmes exactions, ou la même volonté inavouée de supprimer leurs ennemis, que les Nazis contre lesquels tant de voix se sont élevées a posteriori.

La seconde partie de l'ouvrage tourne à l'absurde lorsque le narrateur participe au repérage d'une mise en scène grossière prévue par et glorifiant l'armée israélienne sur les terres polonaises, tandis que les seuls qui semblent véritablement s'intéresser à ses propos et aux détails qu'il fournit en qualité d'historien sont une équipe de développeurs d'un jeu vidéo et un Allemand à l'air louche...

Une lecture qui ne laisse pas de marbre, un tantinet longue par moment et qui plonge le lecteur dans un profond malaise, mais qui a le mérite d'appuyer sur des tabous sur lesquels personne ne veut se pencher.
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Le prétexte de ce récit est une longue lettre au directeur de Yad Vashem par le narrateur qui raconte ses activités de guide pour les élèves et les militaires israéliens pour perpétuer la mémoire de la Shoah. Doctorant, il a accepté ce poste au mémorial Yad Vashem à contrecoeur : cela consiste surtout bien sûr en des activités de guide en Pologne, de camp de concentration en camp de concentration. Il rapporte ses états d'âme tant par rapport à ses conditions de travail que face à l'évolution du tourisme mémoriel. Son malaise est communicatif devant les situations qu'il décrit. Il a parfois, et de plus en plus souvent avec le temps, affaire à des juifs dans le déni, dans du communautarisme presque raciste (« C'était des ashkénazes ! »), dans l'aberrant (c'est ce qu'il faudrait faire avec les arabes, ou avec les gauchistes), ou plus simplement à des ados gâtés et ignares … le summum est atteint lorsque l'armée israélienne veut organiser un débarquement avec hélicoptère dans un ancien camp, suivi d'une cérémonie, d'un discours suivis de chants et d'un programme artistique. Cela a-t-il existé ? Tel que l'auteur le décrit c'est entre le burlesque et le cauchemar ! C'est un livre très, très différent de tout ce qui a été écrit sur les camps, il aborde le problème de la transmission, du « travail de mémoire » ou du « devoir de mémoire » d'une façon très inhabituelle et pose beaucoup de questions pertinentes sans réponse. C'est un livre très fort et qui met bien plus mal à l'aise qu'un livre d'histoire sur la shoah.
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Lu et relu ! J'ai adoré la plume de l'auteur pour nous raconter, sous forme d'une longue lettre, la shoah. Un historien juif qui se retrouve guide dans un camp de concentration pour expliquer aux jeunes comment l'extermination de son peuple a eu lieu, est une excellente idée, qui mieux que quelqu'un issu de cette population pour exprimer tous les drames qui y ont eu lieu ? le vivre. le vivre et voir de ses yeux un camp c'est autre chose que du virtuel et l'auteur l'explique bien, dans un monde de façade, du tourisme de l'horreur, comment transmettre la survie de ses personnes, comment ancrer le réel dans un monde virtuel, tout en gardant sa rigueur scientifique notre guide s'attèlera à répondre à ses questions.

Pour moi c'est un coup de coeur, un roman puissant qui trouve les bons mots pour parler de la shoah dans notre société moderne. L'auteur transmet, fait réfléchir à notre condition, questionne. le livre peut paraître un peu long du fait qu'il n'y a pas de chapitre mais c'est un petit livre et promis, vous serez vite prit dedans pour peu que le sujet vous intéresse.
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