Oui, peut-être ; mais la vie, rajoutais-je, n'est rien d'autre que le trait d'union du mot peut-être.
Je lie tout le mystère de l'homme à l'écriture, lis les silences de sa vie avec mes lunettes obsessionnelles d'écrivain. (p. 445)
A certains qui sont partis, il faut souhaiter qu'ils ne rentrent jamais, bien que ce soit leur plus profond désir : ils en mourraient de chagrin.
L'exilé est obsédé par la séparation géographique, l'éloignement dans l'espace. C'est pourtant le temps qui fonde l'essentiel de sa solitude, et il accuse les kilomètres alors que ce sont les jours qui le tuent.
Mais viens toujours ce terrible moment sur le chemin en pleine nuit, ou une voix résonne et vous frappe comme la foudre ; et elle vous révèle, où vous rappelle, que la volonté ne suffit pas, que le talent ne suffit pas, que l'ambition ne suffit pas, qu'avoir une belle plume ne suffit pas, qu'avoir beaucoup lu ne suffit pas, qu'être célèbre ne suffit pas, que posséder une vaste culture ne suffit pas, qu'être sage ne suffit pas, que l'engagement ne suffit pas, que la patience ne suffit pas, que s'enivrer de vie pure ne suffit pas, que s'écarter de la vie ne suffit pas, que croire en ses rêves ne suffit pas, que désossé le réel ne suffit pas, que l'intelligence ne suffit pas, qu' émouvoir ne suffit pas, que la stratégie suffit pas, que la communication ne suffit pas, que même avoir des choses à dire ne suffit pas non plus que ne suffit le travail acharné ; et la voix dit encore que tout cela peut-être, est souvent une condition, un avantage, un attribue, une force, certes, mais la voix ajoute aussitôt qu'essentiellement aucune de ses qualités ne suffit jamais lorsqu'il est question de littérature, puisque écrire exige toujours autre chos, autre chose, autre chose.
Peut-être que c'est pour chercher le secret des rues de Varsovie dans celles de Buenos Aires que je suis resté. Pour voir vraiment mon pays en le regardant dans le miroir d'un autre pays.
Le temps est assassin? Oui. Il crève une nous l'illusion que nos blessures sont uniques. Elles ne le sont pas. Aucune blessure n'est unique. Rien d'humain n'est unique. Tout devient affreusement commun dans le temps. Violç l'impasse; mais c'est dans cette impasse que la littérature a une chance de naître.
Je me suis dit qu'un monde où on pouvait encore débattre ainsi d'un livre jusque tard n'était pas si perdu, même si j'avais bien conscience de ce que des personnes discutant de littérature toute une soirée avaient de profondément comique, vain, ridicule, peut-être même irresponsable. Des conflits faisaient rage, la planète étouffait, des meurt-de-faim et des assoiffés crevaient, des orphelins contemplaient le cadavre de leurs parents;... Il y avait le réel; il y avait tout cet océan de merdre dehors, et nous, écrivains africains dont le continent nageait dedans nous parlions du Labyrinthe de l'inhumain au lieu de nous batte concrètement pour l'en sortir.
La vie n'est rien d'autre que le trait d'union du mot peut-être. Je tente de marcher sur ce mince tiret. Tant pis s'il cède sous mon poids.
Un hasard n'est jamais qu'un destin qu'on ignore.