Que représente la douleur de ceux qui sont partis devant la souffrance de ceux qui n'ont pas pu les retenir ?
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"Tu as raison, il faut regarder dehors. C'est le monde qui est le vrai poète. C'est lui qui..."
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Ils étaient l'Homme arrivé. Aimé, craint, haï, à accueillir ou à chasser, mais présent.
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Tous étaient hommes et désiraient vivre. C'était peu de choses, mais c'était peut-être déjà tout.
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Il ne s'agissait pas comme on le dit souvent d'une escalade dans la violence. Ce n'était pas une violence verticale, mais une violence horizontale, qui se propageait plus qu'elle ne montait. La violence verticale, visible, peut toujours retomber ; mais la violence horizontale, elle, ressemble à une gigantesque et invisible coulée d'huile.
....C'est comme çà que nous sommes arrivés jusqu'à Niamey. On a attendu quelques jours là-bas avant que le passeur vienne nous chercher.
En l'attendant, nous étions rassemblés dans un quartier pas très propre, pas très sûr. Ca puait, c'était pauvre, sale. Des tas d'ordures entouraient d'autres déchets, les déchets humains : nous. Nous étions cinquante comme ça, tous jeunes ou presque. Des Maliens, des Guinéens, des Sénégalais, des Nigérians, des Libériens, des Nigériens, des Camerounais, des Ivoiriens aussi.
Au début, on ne se parlait pas trop. Ce n'était pas de la timidité ou de la méfiance. C'était la peur de ne pas se comprendre. La peur de ne pas parler la même langue. Pourtant, après quelques heures, on savait qu'on parlait la même langue : la langue de la honte.
Parade triomphale qu'on acclamait, procession religieuse qu'on prenait en pitié, convoi honteux qu'on injuriait, caravane qu'on raillait, cabinet de curiosités qu'on examinait : le cortège traversait la ville et était tout cela.
Je ne sais pas ce qui m'horrifiait le plus : le sentiment que les ténèbres étaient infinies autour de nous, ou celui qu'elles l'étaient tout autant au-dessous, dans ce gigantesque monde des profondeurs où cités englouties, mystères irrésolus, trésors mythiques, monstres légendaires, fantasmes humains, cadavres humains, peurs humaines étaient mêlées. J'avais peur de ce que je voyais. J'avais peur de ce que je ne voyais pas. Espoir et épouvante mêlés.
J'ai eu tort de douter de ces hommes et de ces femmes. J'avais sous-estimé non pas leur haine de l'immigration, mais la profonde souffrance que cette dernière leur causait.
L'entendre si brusquement avait provoqué en lui un séisme meurtrier, et peut être était-ce là, dans le fait que le son de sa propre langue, qu'il connaissait pourtant, ait eu sur lui l'effet d'une surprise mortelle, peut être était-ce là, oui, l'ultime preuve qu'il n'était plus chez lui.