AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de AugustineBarthelemy


Qui se souvient encore de cet illustre inconnu qu'est Léopold Ritter von Sacher-Masoch ? de son oeuvre prolifique et éclectique, publiant de son vivant plus de cent romans, contes, recueils de nouvelles et pièces de théâtre ? Mais aussi des ouvrages à la portée sociale, philosophique voire même mystique. Un touche-à-tout érudit, qui fut connu dans l'Europe entière, distingué par la légion d'honneur en France en 1887, où il connut un succès plus durable, et alors que son oeuvre sulfureuse, La Vénus à la fourrure, était encore totalement inconnue ! (cet ouvrage ne sera traduit en français qu'en 1902). Et pourtant, malgré la gloire et les lauriers littéraires, von Sacher-Masoch a disparu des mémoires, ne reste que de lui un néologisme, le masochisme, inventé par le docteur von Krafft-Ebing, qui en fit le synonyme d'une déviance sexuelle. Avec L'homme à la fourrure, Catherine Sauvat et Anne Simon proposent de partir à la découverte d'un écrivain qui fut englouti par ses « fantaisies » et une époque passionnée par la psychiatrie et la balbutiante psychanalyse.

Graz, Autriche, 1872. Sacher-Masoch se livre chez lui à une lecture en public de son ouvrage, La Vénus à la fourrure. Public conquis, qui trouve certes les fantasmes osés, piquants, mais n'est pas choqué. Et le mystère demeure, l'histoire d'amour entre Wanda et Séverin est-elle réelle ou est-elle pure fiction ? Attirée, ou simplement curieuse, surgit alors Aurore Rümelin. Elle se propose d'être la Wanda de Léopold. Elle sera sa maîtresse dominatrice, celle qui acceptera de le maltraiter, de le fouetter, tout en se pliant à son obsession, revêtir toutes les fourrures qu'il lui achètera avant de le soumettre. Elle acceptera aussi le penchant candauliste de Sacher-Masoch : ensemble, pour être au plus près de l'histoire de la Vénus à la fourrure, ils chercheront des amants de passage. Souffrir dans l'amour, tel est le plaisir de Léopold.

Les premiers temps du ménage sont félicités. Wanda et Léopold sont complices. En public, elle s'efface, épouse ordinaire soutenant son mari dont le succès va toujours croissant. Et dans l'intimité, il est son esclave qui reçoit les humiliations avec bonheur. Mais très vite, le mariage bas de l'aile. La naissance d'un premier enfant, puis d'un second une année plus tard, déstabilise leur vie de couple. Wanda n'est plus si empressée qu'avant, elle se montre hésitante, puis se résigne devant l'insistance de Léopold à respecter le contrat signé. A Leipzig, où ils ont déménagé et où Léopold dirige une revue littéraire « Au sommet », elle le trompe avec le voisin. Première entorse au contrat. le couple fera la rencontre d'un journaliste français, Armand de Saint-Cère, en fait un escroc qui parviendra à subjuguer le naïf Sacher-Masoch et à lui souffler sa femme sous le nez. Cette fois, Wanda quitte le foyer, abandonnant derrière elle son fils aîné. En son nom, elle contractera de multiples dettes qui finiront de ruiner Léopold, dont le succès va décroissant.

Ils divorceront et Léopold se remariera avec sa secrétaire, la timide Hulda Meister. Avec elle, les fantasmes de fourrure et de fouet disparaissent. Épouse modèle, elle soutient son mari dans ses difficultés. Ils emménagent à Lindheim, auront trois enfants. Une vie de famille bien banale en somme. Jusqu'à ce qu'ils découvrent, bien fortuitement lors d'un passage en librairie, qu'un médecin s'intéressant aux déviances sexuelles vient de créer un néologisme à partir de son nom. le masochisme est né, et La Vénus à la fourrure en est la parfaite incarnation : « Ces perversions de la vie sexuelle peuvent être appelées masochisme, car le célèbre romancier Sacher-Masoch, dans de nombreux romans et surtout dans son célèbre La Vénus à la fourrure, a fait de ce type spécial de perversions sexuelles le thème favori de ses écrits. » On ne peut pas faire définition plus claire et plus infamante. Voilà l'auteur dévoré par son oeuvre. Désormais, son nom est lié à celui du divin marquis, qui fut rejeté par ses pairs, condamné à la prison puis à l'asile d'aliénés. C'est l'opprobre. Tous les milieux se ferment peu à peu à Léopold.

Ce médecin, c'est Richard von Krafft-Ebing, et son ouvrage Psychopathia Sexualis, publié en 1886, fait référence et connaîtra de nombreuses réimpressions et traductions. Ce qui était jusque-là considéré comme une fantaisie osée, une obsession parmi tant d'autres, devient signe de perversion. La société change, évolue, progresse. Ce qui dépasse est déviance. Krafft-Ebing est l'homme en vue, l'expert que l'on écoute même au sein des tribunaux. le lecteur entrapercevra l'affaire de la comtesse Sarolta Vay, accusée de se travestir en homme, d'avoir menti sur son état civil pour pouvoir épouser une femme. Paternalisme et misogynie feront le reste : c'est un cas de gynandrie, une maladie mentale congénitale. La comtesse n'est pas responsable de ses actes. Grâce au diagnostic de Krafft-Ebing, elle est libre. Mais à cause de lui, elle est désormais un monstre déviant mis au ban de la société. Tout comme le malheureux Léopold, qui est envahi par une horde de « malades » qui le prennent comme figure de proue de leur déviance.

L'homme à la fourrure est un roman graphique intéressant quoique laissant un petit goût d'inachevé. On y découvre la vie d'un auteur à la réputation sulfureuse mais qui est, au fond, un homme bien ordinaire dépassé par son oeuvre. de cette oeuvre monumentale, j'aurais aimé en savoir plus. Celle-ci ne sera que vaguement entraperçue à la toute fin, quand Léopold se lamentant d'être mis au même niveau qu'un fétichiste ou d'un exhibitionniste se promènera parmi une multitude de livres, les siens, déplorant d'être devenu moins un écrivain qu'un symptôme. de même, il est dommage que le portrait de la société autrichienne passionnée par les découvertes médicales sur les perversions et autres déviances sexuelles ne soit que survolé (bien que ce ne soit évidemment pas le sujet principal).

Pour évoquer la vie de Léopold, Anne Simon a fait le choix d'un dessin monochrome en noir et blanc expressif mais naïf. le rouge, la seule couleur du récit, correspond à l'invasion, dans le réel, des fantasmes de l'auteur, permettant au lecteur de faire la distinction mais aussi de s'apercevoir à quel point ces deux aspects sont intrinsèquement liés dans la vie de Sacher-Masoch. C'est d'ailleurs dans cette couleur qu'est évoquée, à la fin de cette biographie, la scène primitive, celle qui esquisse une tentative d'explication quant à l'origine des fantasmes de notre écrivain. Réalité ou fiction, à vous de trancher.

Je remercie Babelio et les éditions Dargaud pour l'envoi de cette jolie bande dessinée.
Lien : https://enquetelitteraire.wo..
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}