AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Aquilon62


J'ai récemment publié une citation qui démontre la multiplicité de la linguistique sur le sens de l'ouïe "Nous nous étions écoutés et donc bien entendus.".
L'une des richesse de la langue française c'est de donner un sens à chaque action, au propre comme au figuré,
On peut voir une oeuvre d'art, on peut regarder une oeuvre d'art, on peut observer une oeuvre d'art, on peut contempler une oeuvre d'art. Mona en compagnie de son grand-père à décidé de passer par toutes ces étapes, voire de les dépasser au point de les fixer....
Et ensuite viendront les clefs de décryptage, ou au moins des codes de lecture pour peu qu'en s'en donne le temps...

Car par moment on se dit que l'art est devenu un produit de consommation comme un autre : pour s'en convaincre il suffit de prendre un peu de recul au Louvre dans la salle de la Joconde, pour "contempler" ces centaines de personnes se presser pour voir Mona Lisa au travers de leur écran de portable, voire s'immortaliser au côté d'elle dans un selfie, ce qui  pourrait expliquer ce rictus un brin moqueur. Ces mêmes personnes n'ayant pas même un regard pour le plus grand tableau du musée Les noces de Cana par Véronèse, pourtant difficile de la manquer avec ses plus de 70m2, sans parler de autres toiles de la salle : des Titien, d'autres Véronèse, des Tintoret.....
Loin de ce que disait Pierre Bonnard dans ses carnets "Oeuvre d'art : un arrêt du temps"....

Ce livre nous invite à cet arrêt du temps, et les questions fusent :
Pourquoi une oeuvre d'art nous happe ?
Pourquoi un tableau nous fait nous arrêter dans une salle de musée qui en compte des dizaines ?
Pourquoi une sculpture nous interpellé sans le vouloir ?
Pourquoi un détail nous attire dans une toile ?
Pourquoi ressentir de l'aversion pour une oeuvre et un magnétisme incompréhensible pour une autre ?
Qui n'a pas ressenti au gré d'une déambulation dans un musée, une sorte de magnétisme inexplicable sur une oeuvre d'art, pas forcément des plus connues.
C'est ce qu'expliquait récemment l'auteur :
"Un enfant, comme un adulte, peut ressentir une part de satisfaction, comme de frustration, lorsqu'il regarde une image. le problème, c'est le déficit du sens. Au fond, devant une oeuvre, on a l'impression qu'il y a quelque chose de magnétique, mais pleine de trous, et ces trous, il faut les combler. Pour les combler, malheureusement, il n'y a pas beaucoup d'autres choix que de faire un certain effort de travail, de savoir, de réflexion. Pour cela, il faut des passeurs, des professeurs, des conservateurs, des gens capables de recontextualiser, de donner des éléments symboliques, historiques, biographiques. Et petit à petit, ce qu'est l'énigme d'une oeuvre va gagner en relief, en profondeur, en multiplicité de strates."
Et l'auteur se fait passeur...

Alors effectivement, ce magnifique livre tant sur le fond que sur sa forme, fera indéniablement penser au Monde de Sophie, ou au Voyage de Théo.
La philosophie, la religion, l'art, comme une forme de trinité. Une trinité indissociable au fil de l'histoire de l'art.
Alors du Louvre, à Orsay et Beaubourg, on ne peut que céder à ce recit de transmission entre grand-père et petite fille. Leur secret comme un miroir des oeuvres et leurs secrets.

Même une conservatrice d'Orsay tombe sous le charme de cette complicité intergénérationnelle
"Je vous ai donc entendus à plusieurs reprises, toi et ton grand-père, sans que vous ne vous en rendiez compte, d'abord au Louvre en effet, puis ici. Comprenez : j'ai soixante-cinq ans, et jamais, je vous assure, je n'aurais pu espérer que mon métier prenne enfin autant de sens… Jamais il ne m'a été donné de croiser deux visiteurs aussi fantastiques dans les allées d'un musée. C'est la récompense de toute une carrière, de vous observer. Chère Mona (elle connaissait donc le prénom de l'enfant), cher monsieur, je suis désolée de cette intrusion mais vos conversations devant des oeuvres furent, avant mon départ à la retraite, le plus beau cadeau que je pouvais espérer m'offrir."

Quand ce n'est pas un gardien à Beaubourg qui apostrophe notre duo devant la" Croix Noire" de Kasimir Malevitch
" Il fallut l'intervention d'un gardien pour arracher Mona et son grand-père à leur méditation.
– Dites donc, vous deux : est-ce que vous préparez un mauvais coup ?
– Un mauvais coup ? s'étonna Henry. Et pourquoi donc ?
– Voilà une heure que vous regardez cette croix ! Personne ne regarde jamais cette croix plus de dix secondes.
– Allons, mon ami : un vieux monsieur et une fillette ! de quel mauvais coup parlez-vous ?
Encore un instant et nous ne vous embêterons plus avant la semaine prochaine.
– Encore cinq minutes… Pas une de plus.
Le gardien retourna s'asseoir sans quitter le binôme du regard"

Proust a écrit : “Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous-mêmes.”
Et ce livre est une belle démonstration qu'il y a toujours, dans l'art, du nouveau à découvrir. Les grandes oeuvres semblent différentes chaque fois qu'on revient vers elles. Elles ont quelque chose d'inépuisable et d'imprévisible, tout comme l'être humain, et on ne peut jamais prétendre les connaître à fond. L'essentiel réside peut-être en ceci qu'il faut les aborder avec un esprit non prévenu, prêt à saisir la moindre allusion et à faire écho à l'harmonie la plus cachée.

Une chose est certaine c'est qu'une fois le livre refermé, il reste quelque chose de Mona. Telle une ombre, cette ombre à l'origine de la peinture, comme le lui explique son grand père :
"Et l'ombre est à l'origine de la peinture, Mona… Son « degré zéro », si tu préfères.
– Comment donc ?
– Durant l'Antiquité, Pline l'Ancien racontait une histoire dont on a souvent considéré qu'elle constitue le mythe originel des arts visuels. C'est celui de Callirrhoé. Il s'agit d'une femme qui vivait à Sicyone, en Grèce, voilà environ deux mille six cents ans. Callirrhoé est amoureuse d'un homme qui doit partir pour l'étranger. Elle souhaite conserver une image de lui. Comment s'y prend-elle ? Elle trace sur un mur les contours de son ombre portée par la lumière d'une lanterne. C'est aussi simple que cela : l'ombre est en quelque sorte le négatif du modèle et, en fixant avec du charbon de bois sa silhouette, elle en retrouve le positif."

Bonnard disait "Il ne s'agit pas de peindre la vie, mais de rendre vivante la peinture."
Thomas Schlesser a su au travers de ce récit faire honneur à cette citation, et démontre bien ce mot que les Italiens associent à l'art : "arte è una cosa mentale."
Commenter  J’apprécie          7533



Ont apprécié cette critique (40)voir plus




{* *}