6 avril 1952
J’ai réussi à convaincre Robert de rester dans le train jusqu’à Rorschach et, depuis, il arbore un air maussade. Il suppose sans doute que j’ai dans la tête un plan qui risque de compromettre son équilibre. Nous ne parlons presque pas dans le compartiment. Il roule de grosses cigarettes sur lesquelles il tire nerveusement. À Rorschach, nous descendons et prenons la route de Staad. Le ciel, d’un gris sable qui annonce le printemps, et la terre se confondent au bord du lac de Constance. Pas de bateaux, pas de gens. Monter-descendre, de colline en colline, en direction du village de Buchen ; des enfants accompagnés d’adultes se rendent à la fête de la confirmation.
Carl SEELIG, "Promenades avec Robert Walser", traduit de l’allemand par Bernard Kreiss. Rivage poche/bibliothèque étrangère, page 127 [cité Claude dans le blog de jeanlau "De Bloomsbury en passant par Court Green... " > Romans suisses > Promenades avec Robert Walser, article du 24 décembre 2010]
-23 avril 1939-
Et en effet, il n'y avait pas de quoi pavoiser. Je me promenais seul, de jour et de nuit; entre deux promenades, je tâchais de faire avancer ma barque d'écrivain. (p.25)
16 mai 1943
Je me plaisais beaucoup dans ma chambre de malade. Rester couché comme un arbre abattu, sans avoir à bouger le petit doigt. Tous les désirs s'endorment comme des enfants las de jouer. (p. 48)
28 décembre 1944
Le ciel est sans nuages, ce matin, le froid coupant. Dans le hall de la gare, nous nous demandons où aller aujourd’hui. Robert, sans pardessus, mains et joues d’un rouge bleuté, le menton hérissé de poils blancs, me demande d’un air mi-figue mi-raisin : « Vous avez concocté un programme en cours de route ? » – « Pas du tout ! » – « Qu’est-ce que vous diriez d’Appenzell ? Non, ce serait trop pour aujourd’hui ! Voulez-vous que nous allions dans les hauteurs ? Ou alors, à Saint Gallf ? » – Moi : « Vous avez envie d’aller en ville ? – À vrai dire, oui ! » – « Dans ce cas, en avant ! » – Robert, après quelques pas : « Ralentissons, voulez-vous ? Ne courons pas après la beauté. Quelle nous accompagne plutôt, comme une mère qui marche à côté de ses enfants. »
[Carl SEELIG, "Promenades avec Robert Walser", traduit de l’allemand par Bernard Kreiss. Rivage poche/bibliothèque étrangère, page 84 - extrait cité dans le blog "De Bloomsbury en passant par Court Green... " > Romans suisses > Promenades avec Robert Walser, article du 24 décembre 2010]
27 juillet 1943
J'aime les nuages. Ils ont l'air si familiers-comme de braves et silencieux compères. Dès qu'ils sont là, le ciel devient plus mouvementé-plus humain. (p.52)
15 avril 1943
Il faut aussi qu'il y ait des désagréments dans la vie d'un homme afin que le beau se détache dans toute sa plasticité de ce qui n'est pas beau. Les soucis sont nos meilleurs éducateurs. (p.47)
Un visage rond d’enfant, comme divisé en son milieu par l’éclair, les joues teintées d’une légère rougeur, les yeux bleus, la moustache courte, d’un blond doré. Les tempes déjà grisonnantes. Le col cassé et la cravate de guingois.