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Critique de Eve-Yeshe


Ce livre va rester longtemps dans ma mémoire ; on pourrait le sous-titrer « Chronique d'une mort annoncée », si Gabriel Garcia-Marquez ne l'avait déjà pris…

On fait la connaissance du héros, Albert, un taiseux revenu de la deuxième guerre mondiale, avec une plaie béante dans le coeur, d'autant plus qu'il n'a jamais pu raconter ce qui lui était arrivé (prisonnier de guerre et aussi du mensonge qui a entouré l'histoire de la ligne Maginot) et qui va voir sa vie lui échapper.

Au retour, il retrouve un mariage raté, avec Suzanne, un fils aîné Henri, âgé de cinq ans, qui hurle lorsqu'il veut le prendre dans ses bras et dont il ne pourra jamais être proche. Il a l'impression de devenir le tiers dans le couple formé par Henri et sa mère… plus tard, viendra Gilles, un second fils alors que le mariage bat de l'aile et que Suzanne n'acceptera et n'aimera jamais, tellement éprise de son fils aîné, ingénieur qu'elle n'hésite pas à parer de tous les talents.

Gilles est un gamin qui m'a beaucoup touché, par son amour de la littérature et son amour De Balzac qu'il découvre en ayant choisi par hasard « Eugénie Grandet » dans la bibliothèque de son frère (sacrilège, il a osé toucher un livre d'Henri, en fait sa mère ne supporte pas qu'on touche au mausolée…)

Par contre, la relation que Gilles tisse peu à peu avec son père est très forte, c'est une vraie complicité qui n'a rien du lien Suzanne-Henri. Elle est profonde, sincère et pleine de pudeur.

Albert sent que sa vie lui échappe, qu'elle ne l'intéresse plus car le passé s'en va, plus rien ne sera comme avant et il n'arrive pas à l'accepter et se sent inutile. Il n'a pas forcément envie de mourir, il voudrait seulement que la vie s'arrête, du moins au début. Il va confier Gilles à son voisin, instituteur à la retraite pour l'aider à l'école.

« En vieillissant, les hommes pleurent. C'est vrai. Peut-être pleuraient-ils tout ce qu'ils n'avaient pas pleuré dans la vie, c'était le châtiment des hommes forts. » P 30

Jean-Luc Seigle nous entraîne dans une chronique du temps qui passe, au sein de la famille comme au sein de la société en pleine révolution de l'après-guerre : il oppose l'attachement au passé d'Albert et la volonté de tout changer de Suzanne qui bazarde, pour des sommes ridicules, tous les meubles anciens, pour acheter du formica, ou des appareils modernes et le fameux téléviseur, sans se rendre compte qu'elle détruit Albert (est-ce que vraiment elle ne s'en rend pas compte, je n'en suis pas si sûre, vue la rage qu'elle y met ? )



« Ce fut donc avec la plus grande application et la plus grande dévotion qu'elle se mit à détruire le monde d'avant-guerre pour tenter d'y rebâtir un monde nouveau. » P 39


L'histoire a l'air toute simple, mais on comprend vite les relations ambigües, parfois à la limite de la toxicité, entre tous les membres de cette famille : la soeur et surtout la mère d'Albert, perdue dans les brumes d'Alzheimer, m'ont beaucoup touchée, notamment la scène où Suzanne demande à Albert de faire la toilette de sa mère…

Jean-Luc Seigle nous livre aussi une belle chronique sur le monde rural, en plein désarroi pour cause de la politique de « remembrement » lancée par le ministre de l'agriculture du général De Gaulle, et oui, le malaise du monde agricole ne date pas d'hier ; lui-même est obligé de travailler à l'usine, car il ne peut vivre des seuls revenus de sa terre : est-on paysan par vrai choix et y a-t-il un avenir?

J'ai aimé aussi la manière dont il parle De Balzac qui entre dans la vie de Gilles, comme roman initiatique, car « Eugénie Grandet » a aussi été choc pour moi, vers douze ans, en me faisant entrer dans le monde de la « grande littérature » ; la découverte de cet univers par Gilles me rappelle tant de souvenirs et d'émotions…

Je pourrais parler de ce roman pendant des heures tant les thèmes abordés m'ont touchée, de même que l'écriture simple mais précise, décrivant les émotions avec juste ce qu'il faut de retenue, pour que les héros nous plaisent (enfin pas tout, j'ai adoré détester Suzanne !) et nous semblent authentiques.

J'ai attendu longtemps avant de lire ce roman, car je me méfie de l'engouement médiatique, et préfère prendre mon temps, attendre le bon moment et c'est un véritable uppercut, une belle rencontre…
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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