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En vieillissant les hommes pleurent de Jean-Luc Seigle
C'est toujours un mystère ce que l'on retient des livres. C'est pour ça qu'il faut relire régulièrement ceux qu'on a aimés. (p.88)
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Je l`ai découverte par Modiano qui en parle dans plusieurs interviews, il parle de ce regard qu`il a croisé, il en parle cinquante ans après. Il faut croire que ce regard était intense pour s`en souvenir aussi longtemps. J`ai commencé à faire des recherches en pensant qu`il s`agissait d`une actrice inconnue mais magnifique. C`était une criminelle tout droit sortie de prison et de la guerre. Ensuite, j`ai découvert que son procès avait inspiré à Clouzot le scénario de La Vérité pour faire un film sur le narcissisme féminin. Juxtaposer les deux histoires, celle de Pauline et celle de la Dominique du film fut une manière de mesurer un gouffre, un vide immense, une sorte de trou dans lequel j`ai aussi entendu le silence affolant des femmes qui n`ont pas écrit une ligne sur elles entre 1949 et aujourd`hui… Et moi, je me suis perdu pendant des années dans ce silence avant d`écrire « Je vous écris dans le noir ». Ça a pris dix ans.
Je le dis dans l`avertissement, les faits sont incontestables ou disons les actions qui articulent ce parcours de femme, assez court du reste. La part du romanesque est la façon dont j`ai voulu d`une part, non seulement rendre aux lecteurs et aux lectrices le corps abîmé de Pauline, le remettre entre leurs mains, et d`autre part leur faire entendre sa parole qui n`a jamais été entendue pour enfin refaire avec elle, par l`écriture, toutes sortes de liens entre les événements qui m`ont conduit grâce au travail de la langue (c`est elle qui m`a guidée en allant chercher sous les mots) à comprendre le malentendu originel entre elle et son père, entre les filles et les pères, qui peut seul être à l`origine de ce désastre.
C`est précisément la question que je pensais qu`on ne me poserait pas. Ce n`est pas l`objet de mon roman. Elle ne se disculpe pas d`ailleurs, elle dit juste que c`est impossible de se pardonner. Pour autant devait-elle payer ce prix là ? Pour ce qui me concerne la réponse est non. Et vous ?
C`est précisément tout mon travail littéraire : tenter de montrer comment l`onde de choc de l`Histoire ou/et de l`évolution de la société pénètre la vie ordinaire des gens et peut quelquefois l`empoisonner.
La repenser non, mais continuer à la penser, oui ! Et j`ai l`impression que notre monde pense moins bien que nous le faisions dans les années 70 et 80. Comme si le capitalisme triomphant avait cessé ou renoncé au travail de la pensée pour aller vers des uniformités. Et l`on voit bien où cela nous mène depuis quelques jours. Parce que la pensée sans une recherche enthousiasmante de l`idéal me paraît sans incarnation, c`est-à-dire sans corps.
Oui pour l`avoir mesuré dans mon enfance, c`est le silence des hommes sur leur héroïsme qui est à la fois inquiétant et magnifique puisqu`au fond, le survivant d`une guerre est celui qui n`est pas mort en Héros, seuls les morts peuvent vivre en héros (pour mémoire le dialogue d`Achille et d`Ulysse dans l`Odyssée d`Homère). J`ai l`impression que les survivants des guerres sont les grandes victimes des guerres bien plus que ceux qui sont morts au champ d`honneur.
Bien sûr. Il y a les mots bien dits qui sont donc une « bénédiction » et il y a les mots mal dits qui sont donc des « malédictions ». Une des recherches de la littérature me paraît être la volonté d`inverser la malédiction. L`écriture est une façon de déjouer les sortilèges. Il y a nécessairement de la magie dans l`écriture, au sens le plus archaïque, presque préhistorique.
Je ne sais plus. J`ai envie de dire Eugénie Grandet de Balzac parce qu`il est le premier grand roman que j`ai lu très jeune et qui a fait que je n`ai plus cessé de lire… et puis la lecture, très naturellement vous fait glisser malgré vous vers l`écriture. du moins vers le désir d`écrire… C`est un mouvement naturel. Et si cela arrive, le piège se referme sur vous et le travail commence. L`horreur commence. le désir d`écrire est loin d`être suffisant. Passer du fantasme de l`écriture à une réalité reconnaissable de votre écriture peut prendre des décennies avant de trouver L`écriture.
Ça n`a pas été un auteur (Proust peut-être quand même) mais surtout tout le mouvement des femmes écrivaines. À cette époque fin des années 70, j`ai pensé qu`il fallait que les hommes cessent d`écrire (un jour j`écrirai sur ce thème) et que la révolution littéraire passerait par les femmes. Je suis resté quelques années sans toucher un stylo jusqu`à ce que je comprenne que cet état de dépression que je traînais autour de mes trente ans venait de mon effroyable manque d`écriture.
Obligatoirement Eugénie Grandet. Puis Péguy. Puis, l`œuvre de Marguerite Duras. Puis Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry.
Le Lys dans la valléeDe Balzac.
Voyage au bout de la nuit de Céline.
Toute l`œuvre de Charles Péguy, son œuvre philosophique et son œuvre poétique.
Belle du Seigneur d`Albert Cohen.
Il y en a des milliers. Il suffit de voir comment mes livres sont surlignés, annotés, commentés. Mais je ne m`en souviens d`aucune en particulier. J`agis avec les livres comme les chiens qui vont enterrer leurs gros os à moelle dans l`espoir de les déterrer en cas de besoin. Ils savent qu`à tel endroit, il y a une merveille qui les attend mais ils ne savent plus laquelle. C`est exactement ce que je fais quand je fouille dans mes livres à la recherche de phrases qui me consolent, m`excitent, me revigorent. Peut-être une phrase de Proust : La littérature c`est la vie.
Je viens de finir le dernier Modiano et Le Vrai lieu d`Annie Ernaux.
L'émission "Le coup de coeur des libraires est diffusée sur les Ondes de Sud Radio, chaque vendredi matin à 10h45. Valérie Expert vous donne rendez-vous avec votre libraire Gérard Collard pour vous faire découvrir leurs passions du moment ! Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici ! Les frères Holt de Marcia Davenport et F. de Bardy aux éditons le Promeneur https://www.lagriffenoire.com/17722-romans--les-freres-holt.html Femme à la mobylette de Jean-Luc Seigle aux éditions J'ai Lu https://www.lagriffenoire.com/126808-romans--femme-a-la-mobylette-----a-la-recherche-du-sixieme-continent.html La fin des hommes: Les Grandes Familles de Maurice Druon au éditions le livre de poche https://www.lagriffenoire.com/1037599-article_recherche-les-grandes-familles.html le Rouge et le Noir de Stendhal aux éditions Belin - Gallimard https://www.lagriffenoire.com/1009773-poche-le-rouge-et-le-noir---stendhal.html le dernier hiver du Cid (Blanche) de Jérôme Garcin aux éditions Gallimard https://www.lagriffenoire.com/1017879-divers-litterature-le-dernier-hiver-du-cid.html le Temps d'un Soupir de Anne Philipe aux éditions Livre de Poche https://www.lagriffenoire.com/1026695-essai-le-temps-d-un-soupir.html La chaîne de Adrian McKinty aux éditions Mazarine https://www.lagriffenoire.com/1036493-nouveautes-polar-la-chaine.html Chinez & découvrez nos livres coups d'coeur dans notre librairie en ligne lagriffenoire.com Notre chaîne Youtube : Griffenoiretv Notre Newsletter https://www.lagriffenoire.com/?fond=newsletter Vos libraires passionnés, @Gérard Collard & @Jean-Edgar Casel #lagriffenoire #bookish #bookgeek #bookhoarder #igbooks #bookstagram #instabook #booklover #novel #lire #livres #sudradio #conseillecture #editionslepromeneur #editionsjailu #editionslivredepoche #editionsbelin #editionsgallimard #editionsmazarine
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En vieillissant les hommes pleurent de Jean-Luc Seigle
C'est toujours un mystère ce que l'on retient des livres. C'est pour ça qu'il faut relire régulièrement ceux qu'on a aimés. (p.88)
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En vieillissant les hommes pleurent de Jean-Luc Seigle
Les dates, si on y réfléchit bien, ne sont qu'une manière de donner des noms au temps pour ne pas se perdre. Rien de plus.
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Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle
Je pense à ces malades condamnés à mourir et auxquels on apprend qu'ils vont vivre grâce à un nouveau remède inconnu jusque-là; ils ont immanquablement du mal à envisager leur avenir sans cette mort annoncée depuis si longtemps. J'ai vu des hommes et des femmes finir par accepter l'idée de la mort quand la médecine n'a plus d'espoir à leur offrir. Cette acceptation n'a rien à voir avec une quelconque projection de soi sans vie dans la tombe, mais avec l'idée que tout ce que l'on a fait, connu, aimé, dit, ne sera plus, et que le souvenir de ces choses passées suffit à vous faire respirer encore un peu, à provoquer de longues apnées qui ont le pouvoir de prolonger la vie et de repousser la mort quelque temps.
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Jean-Luc Seigle
C'est dans la poésie que je trouve une autre façon de regarder le monde. "Je vous écris dans le noir" (2015) |
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Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle
Je ne connais pas de livres qui vous disent de rester à votre place et de ne rien espérer ou de ne rien attendre de la vie ; ceux qui disent ça dans les romans sont toujours des personnages exécrables : les vieilles tantes que l'on trouve dans la littérature anglaise ou les suivantes des grandes héroïnes de la tragédie.
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Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle
Je crois qu’on ne peut mourir que d’être désaimée. Et ça, ce n’est pas mourir d’amour, c’est même l’inverse. (p.38)
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En vieillissant les hommes pleurent de Jean-Luc Seigle
" Un ouvrier c'est comme un vieux pneu , Quand y'en a un qui crève , On l'entend même pas crever . " Jacques Prévert , Citroen . 1933 , poème en soutien à la grève des ouvriers . |
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En vieillissant les hommes pleurent de Jean-Luc Seigle
Gilles comprit alors que chaque roman qu'il lirait l'aiderait à comprendre la vie, lui-même, les siens, les autres, le monde, le passé et le présent, une expérience similaire à celle de la peau ; et chaque événement de la vie lui permettait de la même manière d'éclairer chacune de ses lectures. En découvrant cette circulation continue entre la vie et les livres, il trouva la clé qui donnait un sens à la littérature.
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Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle
Si l'on cache un pan de sa vie, c'est nécessairement parce qu'on le trouve inacceptable pour soi-même.
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Jean-Luc Seigle
Le mensonge politique est devenu une rhétorique, un sport presque ! Si nous ne supportions pas le mensonge politique, nous serions tous dans la rue tous les jours. Les rues sont désertes.
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Que demande le petit prince?