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Critique de fanfanouche24


Découverte due au plus grand des hasards… en flânant en librairie. Je me suis aussitôt précipitée sur ce texte inattendu de Jean-Luc Seigle, mettant à l'honneur un écrivain qui m'est complètement méconnu, ayant à l'esprit une « image préconçue »…transmise au fil des années : Péguy comme « écrivain catho réac ‘ »...

J'étais plus que bien disposée venant d'achever avec émotion et enthousiasme son roman, « En vieillissant , les hommes pleurent »…
Des thèmes communs : la transmission, l'amour des plus humbles, les destructions, gâchis insupportables causés par les guerres, l'esprit de résistance, l'écriture, l'amour et la magie des mots ,..qui ont le don de « réparer »les barbaries ainsi que les injustices, sur cette terre.

J'ai dévoré ce petit livre, petit joyau de poésie et d'admiration fervente, inconditionnelle de l'auteur pour cet écrivain hors du commun, délaissé, que fut et reste Charles Péguy.

Un hommage fort… qui retrace la courte vie de Péguy, son enfance pauvre auprès d'une mère, veuve, très aimante envers son unique fils. Cette femme courageuse, fortement croyante, rempailleuse du village, transmet à son fils sa vénération pour cette autre petite femme « courageuse et héroïque », Jeanne d'Arc….

« Sa grand-mère, rempailleuse elle aussi, lui a dit deux, trois choses simples de tous les jours et de tous les temps. Elle lui a dit toutes les métamorphoses : du jardin à la soupe, des champs de blé au pain, des bêtes à la viande, des épis de seigle au rempaillage des chaises. Elle lui a raconté comment raccommoder les choses et le temps, elle lui a montré comment rapiécer la vie tout en souriant. Personne ne sourit mieux que les pauvres gens. Mais attention, ni bienheureux béats, ni innocents idiots. Que peuvent-ils opposer d'autre au malheur pour le dérouter ? Les pauvres rempailleuses croient divinement qu'un jour les pauvres ne seront plus pauvres, qu'ils seront sauvés au ciel comme ils commencent à être sauvés sur la terre de la République » (p.34)

La sensation étonnante de retrouver de façon autre, mais proche la magie et la poésie de l'univers de Christian Bobin : de la poésie, de la spiritualité en célébrant les hommes simples , la vie modeste, les transmissions vraies… dans une authenticité bouleversante.

J'ai abondamment souligné… tant chaque mot est soigneusement choisi, intense, irradiant :
« Avant, qu'est-ce qu'on a à faire du reste du monde quand on a une mère qui sait rempailler les chaises trouées, un paysage qui a connu Jeanne d'Arc et une école de la République qui autorise toutes les promesses. » (p.43)

Ce livre flamboie d'amour : d'amour entre ce fils studieux, rêveur et une mère attentive, entre Marcel, l'ami, qui l'a encouragé à écrire sur cette figure singulière de « Jeanne d'Arc », malheureusement mort prématurément d'une pneumonie, avant d'avoir eu le temps de transmettre à Charles, ses impressions sur son manuscrit... Ce dernier, profondément abattu et désespéré, redoublera d'énergie pour écrire, encore et encore, pour sa mère et la mémoire de ce meilleur ami…

« Tous les jours il est en retard et tous les jours il devance les autres et atteint la première place. Il est aimé de ses maîtres d'école. Il a tous les livres qu'il désire lire à la maison. Et il y a surtout sa mère qui le protège de tout. Elle se tuerait à la tâche pour qu'il puisse lire à haute voix le soir pendant qu'elle rempaille une chaise de plus. Il lui a lu les grands poèmes à haute voix, « Les pauvres gens » de Victor Hugo. Comme il lisait bien l'enfant Péguy. Comme il faisait sonner chaque mot pour le plaisir de la lecture. (p.47)

Je disais… et reconfirme ce « petit trésor de livre »… qui a ébranlé les images toutes faites et au demeurant, injustifiées envers l'oeuvre de Péguy, que j'avais en tête ; j'ai appris de nombreux éléments sur la vie, la formation, les convictions, parcours catholique, puis socialiste de cet auteur qu'on a maintenu dans une image étriquée de l'église catholique.

« Alors,
Il faut agir. Agir c'est écrire. Il faut qu'il écrive SA Jeanne, la Jeanne de sa mère et de sa grand-mère, la Jeanne du temps de l'école de la République. Il faut qu'il écrive contre le mensonge des images, contre l'Eglise, contre le baroque qui n'engendre que des paralysies. Et puis, il faut publier ce que l'on écrit. C'est le moment aussi pour lui d'apprendre un vrai métier, comme son père qui était menuisier et sa mère rempailleuse. Il entre comme apprenti typographe. Ecrire et imprimer. Oui, il sera écrivain et typographe. Mieux, écrivain-typographe et éditeur. Il ne veut aucun intermédiaire entre lui et le lecteur auquel il sait déjà qu'il va demander beaucoup. » (p.76)

Un hommage détonnant et épatant… qui m'a bousculée dans mes a-prioris, et me donne la curiosité de lire enfin… ce Charles Péguy… qui était trop lié aux institutions religieuses dans lesquelles, j'ai fait la majeure partie de ma scolarité…

Grâce à l'empathie, l'admiration communicatives de Jean-Luc Seigle pour Péguy, l'homme comme l'écrivain ( étroitement liés dans les objectifs et les aspirations), je vais aborder les écrits de Charles Péguy, avec un regard neuf, et plus informé …
J'achève cette chronique sur un dernier passage qui met en relief un aspect très affirmé également dans « En vieillissant, les hommes pleurent », c'est la nécessité d'un esprit de résistance pour rester digne dans sa condition d'homme…

« le seul miracle que Jeanne ait fait et qu'elle peut faire encore, pour peu qu'on ouvre le livre de Péguy, c'est de nous appeler sans cesse à la résistance, sans cesse à croire de toutes nos forces en l'Homme, en sa puissance et en sa force sans quoi il ne peut y avoir d'engagement, ni de combat pour renverser les injustices du monde injuste. (…) C'est une poésie que seul un fils de rempailleuse pouvait laisser en héritage au monde. C'est un Credo. (p.116)


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