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Critique de karmax211


Il y a certains livres, je dirais la majorité d'entre eux, où vous savez d'emblée, sans aucune hésitation ni doute, si vous avez affaire à une oeuvre d'importance, de qualité ou tout simplement un bon ou honnête bouquin, et évidence des évidences... celui que vous n'auriez jamais dû commencer et que vous vous empressez de refermer à peine ouvert et de remiser dans la malle étiquetée : "tri sélectif"...
Celui dont je vais essayer de vous dire quelques mots appartient à la catégorie des casse-tête, ceux qui suscitent l'interrogation, font naître la perplexité, vont jusqu'à remettre en cause votre longue expérience de lecteur.
- Camarillo, adios les seventies - est CE bouquin qui ronge ce qui vous reste de neurones littéraires après tant d'années passées à tourner des dizaines de milliers de pages, bien empoigné au gouvernail de vos certitudes de bibliophile ayant fait dix mille fois le tour du monde en moins de quatre-vingts ans mais en plus de soixante...

À quel OVNI ( Oeuvre à Valeur Notablement Imprécisable ) ai-je été confronté en suivant les aventures de jeunesse de Dominique Sels alias Corinne ?
C'est ce que je vais tâcher de vous expliquer.

Nous sommes à la fin des seventies, comme le titre l'indique, et plus précisément dans les trois derniers trimestres de l'année 79.
Vous dire que je m'y sens à mon aise, c'est le moindre ; j'ai 26 ans lorsque l'histoire débute.
Corinne, elle, en a 20.
Elle vient de quitter un amant de passage pour renouer avec Baptiste, un intellectuel oisif, "de mon âge", qui partage son appart' avec Jean, un beau gosse dont il est amoureux.
Donc, en entrée, le décor ( je fais comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre, car dans ce roman, l'auteur, comme des discalies, donne par instants dans des parenthèses ce qui pourrait être interprété comme des indications de jeu ), c'est Corinne, 20 ans en licence de maths ( terme générique ) à Paris, partageant son temps amoureux rue Buffon entre Baptiste, en rupture d'études, et Jean... plus ou moins artiste, plus ou moins parolier, bohême à temps complet.
Un triangle amoureux... Corinne a déjà eu l'occasion de faire connaissance du corps de Jean... et versa dans le vice...(mauvaise blague ), qui vit une vie "libre", héritage de Mai 68, des hippies, de la beat generation, des communautés, du partage, du libre-échange globalisé mais non mercantile, de la pilule, des trips vertigineux avec descente où le Soleil ne Domine pas toujours, où l'on se doit de toucher à tout et où il est surtout interdit d'interdire.
La relation entre Corinne et Baptiste n'est pas chaude brûlant(e).
Elle vient à prendre un coup de surgelé lorsque Corinne apprend l'amour de Baptiste pour Jean.
Elle qui avait refusé à son ex-amant, celui qui avait précédé Baptiste, d'aller un soir écouter du jazz, accepte cette fois l'invitation de se rendre au "Riverbop", une boîte où se produit un trompettiste de free jazz de renommée, un certain Toni Camarillo.
À la vue de l'homme et à l'écoute du musicien, c'est le coup de foudre en accords majeurs.
Lui a quarante-quatre ans, elle vingt.
La passion est violente, inégale, déséquilibrée et déséquilibrante.
Entre eux, c'est je t'aime moi non plus, c'est le jeu du chat et de la souris, c'est jouir sans entrave, c'est le feu follet où celle qui se brûle les ailes est naturellement Corinne la luciole, c'est l'amour à mort, c'est l'oralité polysémique et la transmission.
Comme à mon habitude, je vous laisse découvrir le reste...

Je me suis retrouvé dans cette année 79 qui sent le vécu et ne magnifie ni ne trahit ce que fut cette fin de décennie.
Ce quatuor, ce quartet m'en a rappelé d'autres, et l'expérience de Corinne fait écho à mon ou à des vécus de ces années-là.
Là où j'ai buté, c'est sur les qualités de plume de Dominique Sels.
À trop vouloir briller, l'alchimiste qu'elle est finit parfois par transformer l'or en pacotille et à payer le lecteur en monnaie de singe.
De même qu'à trop cérébraliser, trop intellectualiser son propos, on finit par le banaliser, voire le caricaturer ; le mécaniser au point de l'exsanguer et de le vider de ses émotions les plus essentielles.
Et pourtant, Dieu sait si cette plume est capable de fulgurances.
"Bien sûr, rue de la Montagne Sainte-Geneviève, la chambre de Baptiste n'avait rien de formidable. Pourtant elle offrait le premier luxe auquel on aspire à deux : le sentiment qu'un îlot de tranquillité brille davantage que le reste du monde. Quelque chose nappe le monde d'une brume qui le rend léger, poudroyant, riche de victoires prochaines. Dans la vision de deux êtres enlacés, le monde recule pour mieux renaître."
Plutôt "chouette", non ?
Mais il y a nettement mieux. Ça, j'aime +++
"Qui n'est pas allé, jambes tremblantes, à celui qui l'attire quand le moment s'offrait, mérite-t-il seulement la pitié ? Cet être-là passera sa vie à sa fenêtre, insecte vitrifié, inventant une légende où il se fût levé et où il eût parlé, guettant pour l'éternité un visiteur tardif - son propre courage."
Belle lucidité, constat fort... qui m'a rappelé un peu celui d'Antoine Pol et de ses - Passantes -...
Et puis, comme le mentionne la quatrième de couverture, il y a dans cette histoire et dans cette plume une scabrosité indéniable, dont l'apogée se présente sous cette forme :
"-Je voudrais le faire à trois...
-Encore elle ?
- Elle nous regarde, assise...
- Non, ce n'est pas la peine, je ne suis pas si compliquée.
- Ou alors un chien. Tu n'as jamais vu les chiens ? Un chien avec toi. Tu n'as jamais vu deux chiens ? Ils vont si vite, c'est incroyable.
- Et tu trouves que c'est bien ?
- Ou alors un cheval.
- Non...
- Sais-tu comment ils font pour voir si une jument est en chaleur ? Avant d'amener l'étalon, ils font passer devant elle un percheron. Si la jument mouille, alors seulement on fait venir l'étalon.
- Et comment les hommes voient que la jument mouille ?
- Eh bien, le percheron bande énormément. Et la croupe de la jument se couvre d'écume..."
Ça me rappelle, de loin, le roman de Christiane Rochefort - le repos du guerrier - adapté pour le cinéma par Vadim et dans lequel Hossein se plaît à se faire mal et à faire mal à une Bardot qui continue envers et contre tout et tous, comme Corinne, à aimer son guerrier qui (s')l'humilie...
Vous me direz que c'est là une vieille antienne amoureuse, un vieux ressort romanesque et vous aurez raison. Mais ces antiennes et ces ressorts sont à l'image de la vie et de la comédie humaine dont on ne cesse de répéter l'avant-première, oubliant au passage que la générale est passée depuis longtemps et qu'on en est désormais déjà à la 700ème...
Ce roman autofictionnel est donc fait de ces hauts et de ces bas, de ces fulgurances et de ces clichés estampillés parchemins d'origine, de réflexions nourries et de commodités confortables, d'inventivité inspirée et de banalité quincriarde, de talent et de quête de "génie"... ou d'art...
D'où ma perplexité initiale.

Je remercie néanmoins Babelio et Masse critique de m'avoir permis de découvrir ce livre et son auteure.
Un merci également aux Éditions de la Chambe au Loup, laquelle ( maison ) a eu la délicatesse d'accompagner son envoi d'un petit billet plein de courtoisie.
Le lecteur ingrat que je suis va cependant s'autoriser deux critiques. Pas pour le plaisir de critiquer... mais dans une perspective de contribuer à "mieux faire"...
Que de coquilles dans cet ouvrage, que de coquilles dans une mise en page digne de l'autoédité que je suis... en particulier, les espaces, les intervalles entre les mots... et la ponctuation...!
Je suis désolé mais ma lecture s'est heurtée à ces "imperfections".
Je ne saurais vous dire si je recommande cette lecture ou pas. Elle a partiellement titillé ma nostalgie et je n'ai globalement pas été insensible à la virtuosité irrégulière de Dominique Sels. Pour le reste je demeure dans l'indéterminé...
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