Il est plus supportable et plus aisé de ne pas acquérir que de se voir dépouiller ; et tu trouveras des visages plus riants chez ceux que la fortune ne visita jamais que chez ceux qu'elle a délaissés.
Cette masse d'écrits surcharge plutôt qu'elle n'instruit ; et il vaut bien mieux t'adonner à un petit nombre d'auteurs que d'en effleurer des milliers. Quatre cent mille volumes furent brûlés à Alexandrie ; superbe monument d'opulence royale ! répéteront des enthousiastes, après Tite Live, qui appelle cela l'œuvre de la magnificence et de la sollicitude des rois. Il n'y eut là ni magnificence ni sollicitude ; il y eut faste littéraire, que dis-je, littéraire ? ce n'est pas pour les lettres, c'est pour la montre qu'on fit ces collections ; ainsi, chez le grand nombre, chez des gens qui n'ont même pas l'instruction d'un esclave, les livres, au lieu d'être des moyens d'étude, ne font que parer des salles de festin. Achetons des livres pour le besoin seulement, jamais pour l'étalage.
C'est ainsi qu'une fois privé des divertissements que les gens affairés trouvent au cœur même de leurs occupations, on ne supporte plus d'être chez soi, seul, entre les murs de sa chambre, et que l'on a du mal à se voir abandonné à soi-même.
De là cet ennui, ce dégoût de soi, ce tourbillon d'une âme qui ne se fixe jamais nulle part, cette sombre incapacité à supporter son propre loisir, surtout lorsqu'on rougit d'avouer le causes de cette insatisfaction (...) de là cet état d'esprit qui conduit les hommes à détester le loisir et à se plaindre de n'avoir rien à faire.
Le mal qui nous tourmente ne vient pas des lieux que nous fréquentons mais de nous-mêmes.
Contentons nous d'éviter les gens moroses, qui déplorent toujours tout et ne manquent jamais une occasion de se plaindre. Un ami de nature inquiète qui geint à tout propos est l'ennemi de notre tranquillité.
Jamais la partie du monde qu'on te fermera, si grande soit-elle, ne sera aussi grande que celle qui te sera laissée.
On tolère plus facilement de ne pas avoir que de perdre.
Je t'ai montré, cher Sérénus, les moyens de conserver à l'âme sa tranquillité, de la lui rendre, de résister à la subtile contagion des vices. Sache bien toutefois qu'aucun de ces moyens n'est assez puissant pour préserver ce fragile trésor, si une active et continuelle vigilance n'entoure notre âme toujours prête à faillir.
On appelle Liber l'inventeur du vin, non parce qu'il provoque la licence des paroles, mais parce qu'il délivre l'âme des soucis qui la tyrannisent, parce qu'il lui donne plus d'assurance, de vigueur et d'audace à tout entreprendre. Mais le vin comme la liberté, n'est salutaire que pris avec mesure.
Ainsi le sommeil est indispensable à la réparation des forces ; cependant le prolonger et le jour et la nuit serait une vraie mort. Grande est la différence entre relâcher et dissoudre.