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Citations sur Achab (séquelles) (16)

Vous et moi nous sommes faits pour nous entendre, nous privilégions le sens figuré, vous à cause de votre grand âge, moi à cause d’un tempérament artiste, nous serons les maîtres de la métonymie comme je le suis parfois aussi de l’hyperbole : une comédienne en péplum blanc sera plus maniable qu’un mammifère marin, je le sais par expérience, on pourra lui confier des lignes de dialogue, pourquoi pas une réplique à propos des parfums d'Arabie, on lui mettra sur le sein une fibule en forme de pieuvre, l'un de ses amants stupéfaits la comparera à la Gorgonne : le tour est joué.
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Depuis le temps qu’il passe d’un couloir de la Paramount à un autre couloir de la Paramount (il croise diverses variétés de Hongrois, dialoguistes, ex-dramaturges, cinéastes et vedettes aux yeux noirs), le capitaine connaît les jalousies cultivées là-dedans, jalousies-euphorbes des serres chaudes : il ne s’étonne pas de déceler dans le monocle de Stroheim une lueur adressée en ligne droite au monocle de Sternberg : l’envie, la concurrence, la critique implacable (au royaume d’Hollywood, il ne peut y avoir qu’un seul « von », l’autre est l’usurpateur, et le génie, dans un décor d’échauguettes à la Louis II de Bavière, ne se partage pas).
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Il ramasse les poubelles (l’aube toujours, il se vante de nettoyer la scène avant le début des choses sérieuses) ; il vend des machines à coudre, c’est un pèlerinage nécessaire pour faire de soi un self made man, l’homme aguerri, à qui personne ne pourrait plus reprocher son confort – la machine à pédalier de porte-à-porte est l’abnégation, le sacerdoce, l’humilité comme prélude à l’orgueil, l’épreuve après quoi s’enrichir est permis, comme se pâmer au paradis après avoir porté des sabots sans chaussettes (le cilice) ; il soulève de nombreux cartons, déménage des pianos, court après des rats, étale de hautes affiches sur des panneaux à l’aide d’une brosse à perche trempée dans la colle, évite les poissonneries comme la peste mais accepte de vider les volailles, après quoi la tentation est grande à la tombée de la nuit de devenir chauffeur de taxi, son volant, son compas, sa corne de brume, le devoir de connaître aussi bien que le fond de son âme les rues se croisant à angle droit : triompher des avenues après avoir vaincu le courant de Weddell et le courant de Ross.
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Achab ne dira pas le contraire : pendant deux ou trois minutes, le temps d’une chanson, il a été fixé par la baleine, et pendant ces trois minutes (il veut bien appeler ça portion d’éternité), il a entamé auprès d’elle une vie de couple amphibie, éphémère, ébauchant un avenir commun sous six pieds, sous six mille pieds d’eau : elle, continentale, impérieuse, éblouissante même par grands fonds, étrangère à toute forme de susceptibilité, capable au contraire de tout avaler, le navire et ses passagers, la taille d’un estomac disant tout de la capacité d’un être à amortir les coups durs de l’existence. (C’est du moins l’impression du capitaine tout au long de ces trois minutes : pendant ce temps, il se bouche les oreilles et croit rendre son âme goutte après goutte.) Il connaît la sardine, un peu l’anchois, au vinaigre, et certaines variétés de morue en beignet, en brandade, mais la baleine, la baleine blanche, Moby Dick en personne, seulement par ouï-dire, et toujours de loin ; à la toute fin de sa vie de marin, le temps de la harponner (si on en croit les témoins), de se laisser harponner par elle, d’entamer le rodéo le plus rude mais le plus clownesque de l’histoire de l’Amérique océane, le temps de se noyer, il a dû s’infliger une leçon de cétologie accélérée : mœurs, anatomie, forme, tonus musculaire, tout, à commencer par cette peau semblable à rien, comparable à rien, dans quoi il a cru voir, incrustés là depuis si longtemps, des maravédis de l’époque des Rois catholiques. La baleine en retour, quand elle saisit son capitaine, elle le regarde de près, elle le compare à ce qu’elle croyait connaître des hommes : pendant ces trois minutes, elle s’offre elle aussi une leçon d’anthropologie : l’anatomie, les apparences, les intentions, l’énergie du désespoir, le grotesque supporté par la poussée d’Archimède, la virilité combinée avec les impuissances, la coriacité quand même, la boucle du ceinturon, et la tendresse – le ris de veau du fond de son âme.
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Acharnement et clapotis – le naufrage selon les rescapés
Moby Dick, vous connaissez ? la baleine blanche, les clapotis, le monstre apparu, éclaboussant chaque fois qu’il se cache – d’ailleurs, toute cette histoire de chasse terminée par un drame, ça vous rappelle quelque chose ? les personnages, les figurants, les accessoires, les clous forgés et les clous découpés. Et le décor ? l’inévitable décor d’océan se donnant comme panorama et comme infini contenant : mille millions (un petit peu plus) de kilomètres cubes d’eau salée mêlée de chair humaine et de poissons en proportions inégales, et là-dedans des harengs frais, des requins-marteaux, des baleines à nez de bouteille et des marsouins hourra, des baleines à tête d’enclume, des poissons-clowns, des poissons-chats, des hippocampes comparés quelque part à des allumeurs de réverbères, des bélugas, des huîtres perlières, d’autres qui ne le sont pas, ne le seront jamais, et se sont fait une raison, des baudroies, des encornets, les restes de la croisade de 1212, les théières de vermeil destinées au roi Charles d’Angleterre coulées en 1633 entre Burntisland et Leith – théières suivies dans l’ordre (à travers un fond trouble) de pianos droits, de lingots d’or ou plus sûrement de pioches de chercheurs d’or bredouilles, de pantoufles et chemises de nuit, extraits de naissance, avis de décès, jeux d’échecs, grille-pain, portes tambours, brosses à reluire, jetons de téléphone, bibles traduites en cent vingt langues, Grand Albert et Petit Albert, livres de bonnes manières, banjos, trompettes, harmonicas, fausses couronnes du roi Richard III, casquettes de marin, fraises élisabéthaines, pages brûlées de Nicolas Gogol, buste de Tibère, cafetières italiennes et cafetières américaines, un Catalogue systématique des mammifères marins, des partitions de Jerome Kern, un livret d’Oscar Hammerstein, un gramophone, un Betta splendens (un parmi des milliers), un clystère, le pendentif de Rita Flowers, le diadème du Toboso, une trousse de toilette ayant appartenu à Josef von Sternberg, une autre à Erich von Stroheim, l’épave complète du Chancewell, les images perdues de A Woman of the Sea, les espadons manqués par Hemingway, les habits démodés du signor Da Ponte, l’épave du bateau d’Abissai Hyden, tous les ingrédients du cocktail Manhattan hélas trop éloignés les uns des autres, des téléviseurs, des machines à laver, un petit traité sur l’immortalité qui n’a pas dû convaincre grand monde, la pique d’un violoncelle et x couronnes de fleurs en hommage aux marins noyés.
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Pour Don Quichotte : le devoir de se battre, l’obsession de sauver et de rendre justice à un moment où sauver et rendre justice n’ont plus de sens (leur sens perdu dans des garrigues, soufflé par le vent, renvoyé ailleurs, soufflé encore, mal recueilli par des curés en chaire comme s’il était possible de rattraper des brins de paille en pleine tempête) – quoi qu’il en soit, la nécessité de pourfendre, et de temps à autre, peut-être, comme la main d’un inconnu posée sur son épaule, la peur de se tromper, mais de se tromper alors comme jamais, de donner à l’humanité des leçons d’erreur, à charge pour quelqu’un d’autre, bien plus tard, de trouver un contenu utile à la guerre erronée de Quichotte contre des ailes battantes.
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Comme le disent les romans (quelques-uns s’exprimant avec grâce), “ses pas le conduisent” certains jours dans le confessionnal d’une église papiste : tantôt pour se confesser, tantôt, on l’a vu, pour recueillir des confessions (il s’était fait prêtre au lieu de boulanger, il s’était inventé un petit séminaire, une éducation jésuite, les vœux perpétuels, l’agrément lointain du pape).
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Cervantès reconnaît Quichotte, Quichotte ne reconnaît pas Cervantès, on ne saura jamais s’il a cru voir un démon ou une bête fauve à la place du vieux prosateur manchot, seul le vieux prosateur aurait pu nous le dire ; Cervantès a peut-être encore le temps de pardonner à Don Quichotte, personne n’est mieux placé que lui pour comprendre comment la folie quichottienne conduit au crime par des accès de justice et d’amour fou ; le temps aussi de comprendre l’ironie de la situation, après l’avoir comprise en rire, y voir un accomplissement grandiose et trivial, la superposition parfaite du sublime et du pitoyable, les noces de la fille de ferme avec la reine du Toboso – mais il n’a pas le temps de répondre à toutes les questions, et comme il manque d’oxygène (ce qu’il traduit par être rappelé à Dieu), il perd ses esprits, il meurt sans pouvoir affirmer devant lui-même seul greffier de son testament si oui ou non le destin lui a permis d’écrire les deux volumes de L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche avant d’être tué par Don Quichotte, et si l’assassin gâche son avenir par mégarde, d’un coup d’épée donné dans l’enthousiasme.
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On ne revient pas si facilement du mutisme quand il est comme celui-là mutisme de survie et de Grande Lassitude, de méfiance à soi-même, de mésestime à l’égard d’un passé supposément glorieux (mon œil), et un mutisme de détachement, mais crispé sur les souvenirs comme un boulanger sur le manche de sa pelle dans une ville assiégée (à la longue, un mutisme sûr de son bon droit : une serrure rouillée – et puis une habitude).
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La rancune comme œuvre d’art ne s’apprend pas en récitant Shakespeare, mais le répertoire shakespearien au complet récité à voix haute est une école efficace, plusieurs fragments de la rancune immense s’y retrouvent, presque tous ; les rassembler pour en faire un tout considérable d’un seul tenant est le travail d’une demi-vie d’acteur.
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