Citations sur L'enfant de la colère (12)
Anne ne s’était jamais rendu compte à quel point les mots lus à d’autres, comme les paroles chantées parfois, pouvaient être un baume à des angoisses si diverses. À la maison d’arrêt de Strasbourg, la bibliothèque était assez peu fournie, mais c’est encore Jacqueline qui alimenta sa fille en ouvrages de toutes sortes, pour elle, autant que pour une lecture à haute voix à Dounia.
Il faisait naître une mélodie étrange, spatiale, une sculpture musicale aérienne qui enveloppait l’auditoire d’un voile léger et subtil, une musique d’une douceur et d’une sensualité intenses venue d’un autre monde, jetant un pont entre des sonorités de sociétés très anciennes et des expressions les plus contemporaines.
Et ce silence, trop tard et si mal comblé, Nadia le ressentait maintenant comme une injustice profonde, qui la mettait dans une colère sourde.
C’était une rebelle, ça se voyait, ça s’entendait, une exaltée, élégante même quand elle enchaînait gauloise sur gauloise entre ses doigts fins, des sans filtre, et sa manière de souffler la fumée vers le haut en serrant les lèvres, un joli geste.
Le hang lui offrit une respiration salutaire. Cette musique l’avait réellement bouleversée. Elle avait immédiatement senti qu’elle pourrait par ce moyen exprimer quelque chose d’elle qui échappait à la rationalité de la réflexion et du langage.
Mais de quel droit lui refusait-elle la vérité ? Que ce fût aussi une souffrance pour sa mère, qu’il y avait un trop dur à dire pour elle, n’atteignait pas Nadia qui, au fil des ans, répondit au mutisme par des silences de plus en plus pesants...
...Durant ces années, elle avait ravalé sous sa langue toutes ses interrogations, en même temps qu’elle était habitée d’une colère indicible contre sa mère, une mère n’est-elle pas toujours responsable de tout ?
J’ai fait la triste expérience que les remords n’évitent pas les regrets, pire que les remords sont une forme de regrets irréversibles, avec de la culpabilité en plus.
Des gens fuient la famine et les guerres, ils n’ont comme seul tort que de vouloir survivre, et on les laisse mourir en pleine mer, parfois avec leurs enfants. Ira-t-on un jour jusqu’à interdire de leur porter secours ? C’est si désespérant.
[...] c’était une colère contre la méchanceté, contre la guerre et la pauvreté partout dans le monde, et c’est vrai qu’il n’était pas très joli, ce monde-là.
À la terrasse du café où ils s’étaient installés, il déballa pour elle son instrument, un hang. C’était une invention très récente, il évoqua une sorte de bombe émotionnelle dont il avait ressenti l’impact lorsqu’il avait découvert cet instrument dans les mains d’un musicien de rue lors d’un voyage en Italie.