Après mon rétablissement, j'avais repris mon travail de psychiatre. J'avais remarqué que les gens m'émouvaient beaucoup plus. C'était en fait un changement considérable, surtout dans mon métier. J'avais découvert, avec émerveillement, que j'étais profondément touché par mes patients.
Bien sûr, le fait d'avoir traversé le miroir, d'être devenu moi-même un patient, d'avoir connu les angoisses, les peines et les espoirs d'un malade, ça aide à devenir plus humain, plus capable de se connecter avec notre condition commune. Mais je suis persuadé que dans mon cas la chirurgie a été déterminante, car je suis devenu spécialement sensible, et même excessivement sensible, comme si j'étais constamment sur le fil de mes émotions.
Au-delà de l'aspect moteur, toucher au lobe fontal, c'est aussi prendre le risque - plus inquiétant - d'entraîner des changements dans la psychologie, et en particulier dans l'affectivité. En temps normal, on n'a pas envie de changer d'affectivité. On a envie de continuer à aimer ce qu'on aime, à être touché par ce qui nous émeut, à détester, admirer ou mépriser ce que nous détestons, admirons ou méprisons. Lors de ma première opération, j'étais terrifié à l'idée que je pourrais me réveiller avec une personnalité différente de celle avec laquelle je m'étais endormi.
Me découvrir fragile, mortel, souffrant, effrayé m'a ouvert les yeux sur l'infini trésor de la vie et de l'amour. Toutes mes priorités en ont été bouleversées jusqu'à la tonalité émotionnelle de mon existence.
« Avec la méditation, on sait qu'on va s'emmener soi-même prendre l'air. »
« C'est triste, la "cérémonie des adieux". Mais le plus effrayant serait que ce ne soit pas triste.S'il nous est donné de nous rencontrer de nouveau dans trois mois, je recommencerai avec autant de plaisir et de tristesse. »
« Ce qui "aide à vivre" aide en fait la puissance de vie inhérente à tout organisme vivant Et, inversement, tout ce qui ronge l'envie de vivre diminue nos capacités de guérison »
Me découvrir fragile, mortel, souffrant, effrayé, m’a ouvert les yeux sur l’infini trésor de la vie et de l’amour.
Comme si une très grosse vague avait fracassé mon train-train et m'avait plongé dans une mer démonté.
Dans mon infortune, j'avais beaucoup de chance.