Bottomless belly button est un titre qui devient très explicite sitôt qu'on le traduit en français : Nombril sans fond. Si vous n'aimez pas que les autres racontent leur vie pendant des heures sans s'intéresser à la vôtre, n''essayez surtout pas de lire cet album d'autant plus que, dans son monologue,
Dash Shaw n'est pas avare et nous gratifie d'un ouvrage dont le format ferait passer Guerre et Paix pour un prospectus publicitaire. La comparaison s'arrête sitôt que l'on ouvre Bottomless belly button car sa lecture se fera relativement plus rapidement (et facilement), bien qu'à des rythmes variés.
Cette modulation tient compte de l'histoire en elle-même. Maggie et David, soixante-dix ans environ, forment un vieux couple marié depuis plus de 40 ans. A l'âge où toutes les décisions majeures d'une existence ont généralement été prises, ils décident de divorcer. Pour l'annoncer à leurs trois enfants, ils les réunissent et les invitent à passer quelques jours dans leur maison au bord de l'océan. Cette annonce choque les parents ou conjoints qu'ils sont déjà eux-mêmes devenus et lance dans leur esprit des réflexions qu'ils n'avaient peut-être jamais eu le temps d'apercevoir jusqu'alors, dans la régularité de leur quotidien éloigné de cette maison, de leur passé et de leurs origines.
Et nous voici partis sur plusieurs centaines de pages, à pirouetter autour de ces personnages reclus dans la maison familiale pour plusieurs jours. Ils n'ont rien à faire, sinon marcher au bord de l'océan, réfléchir, et discuter entre eux. de quoi fragiliser les plus fragiles, de quoi exalter la colère des plus susceptibles, de quoi dérouter les plus sceptiques. Surtout, la maison familiale, en réunissant toute sa fratrie, fait revivre une seconde enfance à ces personnages qui ont façonné leur vie d'adulte à l'extérieur. Elle redevient le labyrinthe qu'elle avait dû représenter pour des bambins minuscules.
Dash Shaw nous aide à y voir plus clair en glissant quelques plans entre ses planches, et truffe la demeure de pièges et de trucages qui la rendent aussi gothique qu'un château hanté. de même, ce retour vers l'enfance s'effectue aussi dans les mentalités et exacerbe les traits de caractère de chaque personnage. La régression s'effectue non sans mal, donnant lieu à des scènes absurdes, expiatoires à la souffrance accumulée et gardée recluse jusque-là sous l'accoutrement de l'adulte.
La famille démantibulée, qui tenait jusqu'alors seulement de bric et de broc, se rabiboche paradoxalement alors que le couple parental se sépare. Non sans mal, puisque
Dash Shaw s'étend sur des centaines de pages pour nous présenter la lente réparation des liens unissant les membres de la fratrie. le nombre de pages n'a aucun rapport avec la densité des propos que s'échangent les personnages. le texte est parsemé, jamais envahissant, et préfère se retirer pour laisser parler les images et se succéder des tranches de vie muettes. L'immersion dans l'intimité de ces personnages nécessite du temps, et
Dash Shaw nous oblige à leur en consacrer en restant longtemps aux prises de son album. Sans cela, Bottomless belly button nous semblerait peut-être anodin, comme la majorité de cette pléthore d'albums (à tendances) biographiques dont le principal sujet d'étonnement est celui-ci : mais qui donc cela peut-il intéresser ? On tourne les pages du Nombril sans fond avec une avidité croissante, persuadé que ce gros volume finira bien par nous livrer un secret qui fera écho à nos propres préoccupations nombrilesques. Trouvera, trouvera pas… à force de chercher, on se sera finalement attaché à ces personnages, car c'est de la longue fréquentation de nos semblables qu'on finit par éprouver de l'intérêt pour eux.
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