Je tiens, dans un premier temps à souligner l'excellent travail de traduction, et parfois d'adaptation de
Brigitte Duzan, de même que la beauté des aquarelles qu'elle a réalisées pour illustrer cette version française. En début d'ouvrage, elle nous présente les personnages principaux, avec leur nom dans le texte original, et celui de la version française, expliquant au besoin le choix de différence. Si on ajoute les quelques annotations, le travail de la traductrice nous permet d'entrer avec plus de facilité dans l'atmosphère de roman.
Parlons de cette atmosphère justement. On se trouve dans une clinique pour mères porteuses, tout à fait illégale, avec des femmes en situation précaires, encadrées par des hommes qui ont tendance à abuser de leur pouvoir. Ça aurait pu donner un roman pesant, difficile à lire, mais pas du tout, car les femmes « reproductrices » font preuve non seulement d'envie de se battre et de ne pas se laisser opprimer, mais aussi et surtout d'humour, chose que je n'ai pas souvent rencontré dans les romans contemporains chinois qu'il m'a été donné de lire… Humour souvent noir, parfois féroce, mais qui rend la position de lecteur plus supportable face au sujet traité ici.
C'est Pêche qui nous raconte la vie au Paradis. On ne sait pas trop comment elle est arrivée là, mais on comprend rapidement qu'elle est non seulement muette, mais aussi qu'elle semble avoir un retard mental assez prononcé. le lecteur se trouve donc dans sa tête, où c'est parfois un peu le bazar… elle est en train de raconter une journée au centre, et un événement la fait zapper et se remémorer son passé plus ou moins proche. Il n'est pas toujours évident de se repérer dans l'espace et le temps, d'autant plus que, par moments, elle laisse la parole aux autres, ce qui donne des échanges assez long sans qu'elle s'exprime à la première personne.
Le choix d'une héroïne simple d'esprit et muette est très judicieux, car de par ses handicaps, personne ne se préoccupe de la présence de Pêche dans une pièce, elle voit et elle entend tout. La vie, même la plus intime, continue en sa présence comme si elle n'était q'une petite souris que personne ne voit. On est très proche du personnage, puisque dans sa tête, mais on ne sait pas pour autant réellement ce qu'elle pense de sa présence au Paradis. Elle a l'air de la vivre comme elle vivrait une autre vie, subissant mais sans vraiment souffrir… Tant qu'elle a son chien avec elle, pas grand chose ne semble pouvoir l'atteindre.
Ce détachement dont elle fait preuve, certaines des autres femmes aimeraient en être capables, mais il est parfois cruel de prêter son corps pour de l'argent. Pour quelques-unes, ça s'arrête là, mais pour d'autres, c'est bien plus douloureux. Leur parcours est souvent chaotique jusqu'à leur arrivée au centre : abandon, viol, prostitution, misère sociale et/ou affective… les raisons de leur venue sont aussi nombreuses que les pensionnaires, ce qui nous donne un panorama de la société moderne chinoise sans fard. le communisme et l'ouverture au capitalisme se heurtent de plein fouet, et sans surprise, ce sont comme trop souvent les femmes qui trinquent le plus. Jusqu'à pour certaines louer leur corps pour de l'argent, bien que la discipline très stricte serve d'excuse pour que les amendes pleuvent, emplissant encore un peu plus les poches du « président », et amputant à chaque fois le salaire qui a motivé la présence de ses femmes au Paradis. Nom plus que cynique pour cette clinique. Paradis pour les futurs parents qui payent, peut-être, mais Paradis pour les « reproductrices », pas sûr…
J'ai beaucoup aimé ce petit roman. Petit par la taille, moins de deux cents pages, certes, mais fort, percutant. Il n'en aurait pas fallu beaucoup plus pour basculer dans l'écoeurement face à la situation des femmes, et passer de percutant à dur à lire. Car ce n'est pas une lecture facile de par son sujet, mais elle est traitée avec à la fois de la poésie et de l'humour, et l'adaptation ainsi que la traduction facilitent la compréhension de la situation psychologique de ces femmes. Une vision crue de la société chinoise, qui m'a appris beaucoup...
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