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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Nous sommes près de Shanghaï dans un centre clandestin, car illégal, qui se livre à un trafic très lucratif en hébergeant des mères-porteuses, véritables machines à procréer. Il est piloté par « le Président » Niu Yugen, marié à l'extérieur, mais qui ici est assisté de sa maîtresse Ding Dang. Jiang Jingui, alias « Petit Général », intrigue pour prendre sa place, et ne se gêne pas pour profiter de certaines de ces femmes à portée. Da Bing, « Caporal », complète le tableau dirigeant. Dans cet univers concentrationnaire, les femmes sont affublées d'un numéro. Chacune a son histoire, toutes ont été cabossées par des accidents de la vie. Elles se sont données entre elles des noms de fruits, comme les anciennes concubines impériales. Il y a entre autres Clémentine, Grenade, Fraise, Ananas, Pomme, Poire des neiges…Et puis il y a Pêche, un peu spéciale, simple d'esprit, avec son petit chien Mascotte. A travers ses yeux innocents, nous allons être immergés dans leur vie quotidienne, serons les témoins privilégiés de leurs comportements, de leurs relations entre elles et avec la direction.

Les figures de ces femmes sont esquissées. Il y a Clémentine la leader, prête à revendiquer pour le collectif de meilleures conditions de vie, et qui lutte contre les punitions dans ce lieu étouffant. Fraise et Grenade, qui prennent soin de Pêche. Ananas la méchante égoïste et individualiste, Poire des neiges l'opportuniste, qui couche avec Petit Général. Mais l'esprit de Pêche s'échappe irrésistiblement, même éveillée, vers le monde des rêves où ressurgissent en flou des scènes de sa vie passée, lorsqu'elle se prénommait encore Wenshui. Peu à peu elles s'assemblent en briques, et nous comprenons qu'elle a été ramassée dans la rue, que ses parents sont morts, qu'un homme a l'air pourtant protecteur et gentil a profité d'elle sexuellement…Mais a-t-elle pleine conscience de ces souvenirs enfouis, quand ses rêves ont avant tout la couleur de l'enfance, des nuages, de l'herbe fraîche, des fleurs, des insectes ou des oiseaux ?

Un Paradis est un court roman féministe, intelligent et sensible, qui recourt plutôt à la satire qu'à la dénonciation acharnée. Ainsi, les hommes ne sont ni très malins, ni très courageux, et malgré des moments de dureté prêteraient plutôt à sourire. le Président Niu est un petit gros mégalo qui ne pense qu'à s'enrichir, qui a une maîtresse, mais qui pète de trouille de se faire dénoncer aux autorités et découvrir par sa femme. Quand il fait le dur en voulant sanctionner les réfractaires, il doit reculer devant les risques encourus. Finalement, les femmes lui tiennent tête, ce qui a tendance à lui miner le moral. Petit Général est un petit comploteur sans scrupules, qui abuse de sa position pour obtenir des faveurs sexuelles. Mais la plume est nuancée. En effet, certaines de ces femmes semblent y trouver leur compte, dans l'argent qu'elles empochent (car elles sont rémunérées), et dans une vie sexuelle qui se poursuit, dans ce huis-clos oppressant. La satire est également dans la reconstitution des conflits habituels de toute société, car les tensions et crépages de chignon refont vite surface.

Ce récit est original dans sa construction, puisque nous entendons les deux voix de la narratrice, Pêche et Wenshui, qui alternent et plus généralement se mêlent pour faire écho à son horrible présent et à son passé impressionniste.
Il est original aussi par son sujet, qui nous fait découvrir une des facettes sombres de la Chine actuelle. Tous les moyens sont bons pour s'enrichir. Ce type de sociétés clandestines pourrait bien exister...Ce business s'inscrit dans un contexte où, d'après l'auteur, 40 millions de couples chinois n'arrivent pas, pour des raisons de santé ou de situation sociale, à faire un enfant.
Un seul regret, la fin est peut-être un peu escamotée, un peu rapide.

Ce récit, paru aux éditions Philippe Picquier, est assorti de belles aquarelles de l'auteur qui illustrent la voix de Pêche dans ses rêves, avec son petit chien, qui est aussi la mascotte de Keyi. Car outre son talent de novelliste, qui reste à découvrir en France, elle s'adonne à la peinture. Pour moi une belle découverte, tant de ce roman que de l'auteur, rencontrée lors de la présentation de son livre dans l'excellente librairie asiatique parisienne le Phénix. En espérant qu'il ouvrira la voie à d'autres traductions de SHENG Keyi.
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Je tiens, dans un premier temps à souligner l'excellent travail de traduction, et parfois d'adaptation de Brigitte Duzan, de même que la beauté des aquarelles qu'elle a réalisées pour illustrer cette version française. En début d'ouvrage, elle nous présente les personnages principaux, avec leur nom dans le texte original, et celui de la version française, expliquant au besoin le choix de différence. Si on ajoute les quelques annotations, le travail de la traductrice nous permet d'entrer avec plus de facilité dans l'atmosphère de roman.
Parlons de cette atmosphère justement. On se trouve dans une clinique pour mères porteuses, tout à fait illégale, avec des femmes en situation précaires, encadrées par des hommes qui ont tendance à abuser de leur pouvoir. Ça aurait pu donner un roman pesant, difficile à lire, mais pas du tout, car les femmes « reproductrices » font preuve non seulement d'envie de se battre et de ne pas se laisser opprimer, mais aussi et surtout d'humour, chose que je n'ai pas souvent rencontré dans les romans contemporains chinois qu'il m'a été donné de lire… Humour souvent noir, parfois féroce, mais qui rend la position de lecteur plus supportable face au sujet traité ici.
C'est Pêche qui nous raconte la vie au Paradis. On ne sait pas trop comment elle est arrivée là, mais on comprend rapidement qu'elle est non seulement muette, mais aussi qu'elle semble avoir un retard mental assez prononcé. le lecteur se trouve donc dans sa tête, où c'est parfois un peu le bazar… elle est en train de raconter une journée au centre, et un événement la fait zapper et se remémorer son passé plus ou moins proche. Il n'est pas toujours évident de se repérer dans l'espace et le temps, d'autant plus que, par moments, elle laisse la parole aux autres, ce qui donne des échanges assez long sans qu'elle s'exprime à la première personne.
Le choix d'une héroïne simple d'esprit et muette est très judicieux, car de par ses handicaps, personne ne se préoccupe de la présence de Pêche dans une pièce, elle voit et elle entend tout. La vie, même la plus intime, continue en sa présence comme si elle n'était q'une petite souris que personne ne voit. On est très proche du personnage, puisque dans sa tête, mais on ne sait pas pour autant réellement ce qu'elle pense de sa présence au Paradis. Elle a l'air de la vivre comme elle vivrait une autre vie, subissant mais sans vraiment souffrir… Tant qu'elle a son chien avec elle, pas grand chose ne semble pouvoir l'atteindre.
Ce détachement dont elle fait preuve, certaines des autres femmes aimeraient en être capables, mais il est parfois cruel de prêter son corps pour de l'argent. Pour quelques-unes, ça s'arrête là, mais pour d'autres, c'est bien plus douloureux. Leur parcours est souvent chaotique jusqu'à leur arrivée au centre : abandon, viol, prostitution, misère sociale et/ou affective… les raisons de leur venue sont aussi nombreuses que les pensionnaires, ce qui nous donne un panorama de la société moderne chinoise sans fard. le communisme et l'ouverture au capitalisme se heurtent de plein fouet, et sans surprise, ce sont comme trop souvent les femmes qui trinquent le plus. Jusqu'à pour certaines louer leur corps pour de l'argent, bien que la discipline très stricte serve d'excuse pour que les amendes pleuvent, emplissant encore un peu plus les poches du « président », et amputant à chaque fois le salaire qui a motivé la présence de ses femmes au Paradis. Nom plus que cynique pour cette clinique. Paradis pour les futurs parents qui payent, peut-être, mais Paradis pour les « reproductrices », pas sûr…
J'ai beaucoup aimé ce petit roman. Petit par la taille, moins de deux cents pages, certes, mais fort, percutant. Il n'en aurait pas fallu beaucoup plus pour basculer dans l'écoeurement face à la situation des femmes, et passer de percutant à dur à lire. Car ce n'est pas une lecture facile de par son sujet, mais elle est traitée avec à la fois de la poésie et de l'humour, et l'adaptation ainsi que la traduction facilitent la compréhension de la situation psychologique de ces femmes. Une vision crue de la société chinoise, qui m'a appris beaucoup...
Lien : https://leslecturesdesophieb..
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Une plongée dans les années 2010, peu de temps avant l'abolition de la politique de l'enfant unique, dans une clinique illégale de mères porteuses. Probablement un de mes plus gros coups de coeurs de l'année pour le moment, je conseille fortement. le style de l'auteur est très bien transmis pas la traduction, et le roman parle d'un sujet grave, mais avec une légèreté apparente, qui rend la lecture plus facile à vivre. Je suis vraiment content d'avoir pu découvrir Sheng Keyi avec ce récit.
Lien : https://verslestenlivre.word..
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