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Critique de bobfutur


Fortement autobiographique, ce nouveau livre d'une Lionel Shriver qui, plus que jamais, a beaucoup de choses à nous dire, devrait pas mal diviser, moi compris, un peu étourdi de ces quelques heures de lecture contrastées… et de ne pas oublier de remercier Belfond et Babelio pour cette avant-première.

Quand la pensée atteint un paradoxe, en tout cas en sciences humaines, c'est qu'on est sur une bonne voie… En faire ici la pseudo-démonstration reviendrait à une longue roulade dans une flaque, le dos piqué par de nombreux et impatients gravillons. Avec Lionel, on tient une bonne cliente pour ce qui est du franc-parlé, et d'idées qui pourraient sembler contradictoires au bloc gentiment huilé des « progressistes ». On peut se réjouir qu'elle ait de plus un solide sens de l'humour-tragique, surtout quand il s'agit de nous en conter sur la vieillesse, et de son éternel querelle des anciens et des modernes… et d'en profiter pour régler quelques comptes.

Avec ce prétexte du monde en plein essor des sports d'endurance extrêmes, elle en profite pour dézinguer ce type de troupeau d'égocentriques, liés par les codes et valeurs usuels d'un groupe délimité, mais chacun isolé par sa quête de performances individuelles. En corollaire, on peut y voir cet agacement face à la prise de pouvoir des émotions et ressentis personnels dans le débat public, et bien-sûr, la progressive sanctuarisation du particulier face à l'universel, bref cette chère Lionel n'est pas là pour se faire aimer de tous, ses apparentes ambivalences bousillant toute position manichéenne.

Mais le problème vient selon moi de la forme. Comme d'autres critiques ici et là, je trouve que les dialogues, en particulier à l'intérieur du couple, sont trop longs, un peu alambiqués, parfois ennuyeux, voire excessifs, nous sortant à coups de pied de l'histoire. La pagination/mise en page est austère, voire inexistante dans ses capacités structurative et esthétique.

La majorité des personnages sont de très gros clichés, et plutôt bas de plafond.
Le stéréotype est un paradoxe éclatant : facilement identifiable, car ayant une véritable existence, il est aussi rejeté voir combattu par une frange idéaliste que l'auteure aime à brocarder. Mais il n'y a pas dans ce livre de réel questionnement à ce sujet, dommage… on en reste à une utilisation convenue, pas très éloignée du tout-venant à gros tirage, les exemples pleuvent sans que je ne daigne me mouiller… Probablement plus facile à utiliser pour transmettre un message unanimement compris, ils nivellent au bulldozer le chemin des possibles… Soit !

L'auteure se fait grave plaisir avec cette retranscription imaginée d'une session d'un comité arbitral interne à une administration, saisie pour des accusations de violences racistes et sexistes par une dirigeante despotique mais intersectionnelle, «digne d'un rond-point en sept sorties », envers le mari de l'héroïne. Une bonne bataille de 38 tonnes, qui ne ferra changer d'avis à personne; la raison humaniste magnifiée face à l'ignorance particulariste moralisée. Un bon plaidoyer à charge et sans décharge, du coup inopérant sur nos consciences de lecteurs, mais asséné par une auteure qui peut se permettre davantage qu'un commun renvoyé vers les marges puantes des extrêmes pour ce genre d'idées.

Les noms de ses personnages…? Hum… disons qu'un stage chez l'inaccessible Thomas Pynchon pourrait aider, lui le spécialiste des patronymes sortis de nulle part, souvent chargés d'un sens plus ou moins caché, alors que ceux de Shriver tombent dans le gadget. Quitte à faire des comparaisons, je ne retrouve pas dans ce livre les qualités d'écriture d'un Franzen, ses « Corrections » pouvant avoir une certaine parenté de thèmes, tout en offrant une qualité de lecture générale beaucoup plus haute.

Donc merci chère Lionel D être là, et surtout d'ouvrir ta gueule au milieu des couinements. Ton crédo est très important pour nous qui — comme toi sans doute si tu parlais français — pensons que le mot « autrice » est juste dégueulasse; qu'à force de tout réduire aux sensibilités de chacun et à un relativisme bon ton, aux sacramentaux « goûts personnels » face à une éducation par ses pairs, à l'illusion du choix et de son éternel inassouvissement, nous courrons vers une société ou la notion même d'apprentissage se retrouve en danger…
De la défiance des nouvelles générations, jetant le bébé-boom avec l'eau des chiottes, nous laissant hurler au besoin de personnalités complexes et tranchées comme toi, si seulement ta plume était à la hauteur de tes ambitions…
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